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I am not a witch : le ruban blanc

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs le 25 mai 2017. Durée : 1h30.

Par Lucile Bellan, le 25-05-2017
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2017' composée de 22 articles. En mai 2017, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu’aux allées de l’ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

« I am not a witch » : quelques mots qu’une enfant de 8 ans ne prononcera pas et qui conditionneront sa vie. Alors qu’un village entier se convainc qu’elle est une sorcière et qu’il faut l’éloigner pour le bien de tous, elle est recueillie par un village de rebuts, sorcières, qui ont sacrifié leur liberté pour le droit de vivre. Celle que la doyenne baptise Shula devient alors espoir, mascotte, seule enfant de tout un village de femmes qui délivrent leur « magie » (faire tomber la pluie, désigner les coupables de vols) quand elles ne sont pas aux champs.

Cette enfant sans prénom, sans famille, sans instruction, a pourtant dans le regard un questionnement sur le monde et une soif de liberté sans pareils. Silencieuse, elle est un témoin autant qu’une victime. La jeune fille n’est qu’un prisme destiné à nous faire découvrir une société construite sur des règles et des croyances absurdes, toxiques et aliénantes. Car reporter toutes ses déceptions et ses attentes sur « les sorcières », c’est se retirer le poids de toute responsabilité. Pour dormir tranquille quand le remords n’étouffe pas.

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Celles à qui on a refusé l’humanité sont pourtant celles qui en sont les seules dignes représentantes.

La réalisatrice Runango Nyoni ne se contente pas de raconter un drame troublant dans les plaines de Zambie, mais va plus loin en brossant une une satire universelle sur la dictature des croyances et du pouvoir. Avec beaucoup d’humour, elle dresse le portrait d’hommes pleutres et qui profitent de leur statut, à l’instar de Monsieur Banda, fonctionnaire du ministère des croyances qui serait truculent s’il n’était pas terriblement dangereux. À l’opposé, toutes les femmes défendent l’enfant, des prétendues sorcières à la parvenue qui pense avoir acquis la respectabilité dans le mariage. Les femmes qui souffrent ou ont souffert sont solidaires, belles dans cette unité dans laquelle Shula se retrouve et qui la sauve, un temps. Celles à qui on a refusé l’humanité sont pourtant celles qui en sont les seules dignes représentantes.

Parce que sa vie a toujours été souffrance et entraves, Shula veut « être une chèvre parce qu’une chèvre est libre d’aller où elle veut et mange seule ». C’est le destin qu’on lui promet si elle ose se détacher du long ruban qui limite ses déplacements et l’oblige à suivre celui qui l’a condamné à cette vie. Elle qui n’a que le désir de se rendre à l’école, d’entendre rire les autres enfants, est dans sa tête moins qu’un animal. Et, dans la tête des autres, elle est un fétiche, un objet de crainte autant que d’admiration.

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Une oeuvre qui interpelle, défie l’indifférence, à l’image des choix de musique.

Pour son premier film, Runango Nyoni s’est adjoint des techniciens et artistes de talent : le chef opérateur David Gallego et la costumière Holly Rebecca (styliste de Solange Knowles) proposent chacun un travail admirable. Des images restent, imprègnent la rétine comme de parfaites œuvres d’art, qui ne font jamais oublier par leur beauté et leur singularité l’histoire tragique de Shula. Elles la portent, en font une oeuvre qui interpelle, défie l’indifférence, à l’image des choix de musique : Mozart, Estelle (American Boy) et une étrange version chinoise de Nothing Compares to U.

Il y a dans ce récit des airs de parabole, de conte de tradition orale. C’est l’histoire de Shula et c’est à chacun d’en tirer une morale qui lui semble juste. Shula n’est pas une sorcière, et si c’était juste une enfant ?

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