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En liberté ! : équation comique à cinq inconnu·e·s

Présenté le dimanche 13 mai à la Quinzaine des Réalisateurs. Sortie le 31 octobre 2018. Durée : 1h45.

Par Erwan Desbois, le 14-05-2018
Cinéma et Séries
Cet article fait partie de la série 'Cannes 2018' composée de 24 articles. En mai 2018, la team cinéma de Playlist Society prend ses quartiers sur la Croisette. De la course à la Palme jusqu’aux allées de l’ACID, elle arpente tout Cannes pour livrer des textes sur certains films forts du festival. Voir le sommaire de la série.

Pierre Salvadori nous donne de ses nouvelles tel un métronome : ses quatre derniers longs-métrages étant séparés à chaque fois de quatre ans. Il s’agit peut-être là d’une déformation professionnelle, à force de signer des films à l’écriture et à la mise en scène comiques réglées avec la précision d’une horloge. Salvadori est un grand admirateur d’Ernst Lubitsch, le cinéaste qui amena la comédie sophistiquée et impertinente à son sommet, et avec En liberté ! il se montre une fois de plus un disciple à la hauteur des enseignements du maître. Il commence par le point de départ incontournable : mettre en place une situation impossible à résoudre, fondée sur des ressorts humains et dramatiques que le titre de travail du film, Remise de peine, faisait astucieusement ressortir.

Ils sont pas moins de cinq à y être impliqués, deux femmes et trois hommes, quatre vivants et un mort. Yvonne est policière et veuve d’un policier, mort deux ans plus tôt alors qu’il était le meilleur élément du commissariat. Au détour d’une affaire, Yvonne apprend que son mari était en vérité un flic corrompu jusqu’à la moelle, qui entre autres délits a fait porter le chapeau à un innocent pour un braquage de bijouterie qui n’était qu’une arnaque à l’assurance. Antoine, l’innocent en question, sort justement de prison quelques jours plus tard. Le remords pousse Yvonne à lui servir d’ange-gardien pendant sa réadaptation, pour le moins compliquée, à la vie civile – un rôle qu’elle va devoir cacher à son collègue Louis et à Agnès, l’épouse d’Antoine ; avec d’autant plus de mal que les sentiments amoureux surgissent sans prévenir entre les uns et les autres, et détraquent leurs plans.

Le retour de la lumière, de la fantaisie enjouée

Adèle Haenel incarne Yvonne, et deux autres nouveaux venus chez Pierre Salvadori l’accompagnent, Vincent Elbaz et Damien Bonnard. Ils se joignent aux habitué·e·s Audrey Tautou (déjà présente dans Hors de prix et De vrais mensonges) et Pio Marmaï, qui était dans le précédent film du cinéaste, Dans la cour. Ce dernier était plus amer, dépressif ; En liberté ! marque le retour de la lumière, de la fantaisie enjouée. Si la situation des personnages est très compliquée, c’est à dessein et sans qu’on le ressente comme un fardeau. Salvadori construit cet amoncellement d’imbroglios et d’embarras selon un geste qui en est l’opposé : limpide (les scènes s’enchaînent le plus naturellement du monde), désopilant (on ne cesse de rire aux éclats), gai — tout est traité avec humour, même le pire (par exemple cet échange : “je viens pour un homicide…” “suivez-moi” “… involontaire” “c’est pas grave”).

Une fois l’insoluble problème posé aux personnages, il n’est pas question d’en faire un nœud coulant qui aggraverait leurs blessures à mesure qu’ils se débattent. Salvadori persiste à en tirer de réjouissantes séquences comiques. Ciselées avec soin, elles sont pensées pour se développer dans la durée avec leur lot de surprises, de bons mots et d’échos (le fil rouge du club SM, remarquablement déroulé d’un bout à l’autre jusqu’à servir une scène de braquage délirante et jubilatoire) ; et toujours une chute parfaite. On sent le travail d’orfèvrerie d’un artisan comique fier de ce qu’il nous concocte, et on savoure avec encore plus de plaisir la qualité du résultat.

Salvadori aime tous ses personnages sans exception, peu importe leurs erreurs, leurs coups de folie, leurs disputes

Ces rires que Salvadori nous offre se maintiennent en permanence en équilibre, mi-amoraux mi-tendres. Il ne s’abaisse jamais à rire de ses personnages, il les élève en riant avec eux. D’un rire amoral parce que les jugements de valeur n’entrent pas en ligne de compte (ce qui importe est de trouver une issue favorable pour tous ; un happy end au sens le plus pur) ; d’un rire tendre car Salvadori filme l’amour et le désir avec une délicatesse et une compréhension inestimables. Plus encore que les escalades burlesques et les bons mots du cinéaste, ce sont ses mots et ses scènes justes sur le couple (Agnès faisant rejouer à Antoine le moment de son retour à la maison ; la déclaration d’amour soudaine et spontanée d’Yvonne à Louis) qui rendent En liberté ! si plaisant. Salvadori aime tous ses personnages sans exception, peu importe leurs erreurs, leurs coups de folie, leurs disputes. Il n’est donc pas étonnant qu’il déniche pour eux une astucieuse résolution finale à cette équation que l’on croyait insoluble. Tout le monde en ressort par le haut, avec une partie de sa peine enfin allégée, dépassée.

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