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Midi de Cloé Korman : une dernière répétition

Paru le 16 août 2018 aux éditions du Seuil.

Par Guillaume Augias, le 22-08-2018
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2018' composée de 10 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2018. Voir le sommaire de la série.

Reconnue dès son premier ouvrage, Les Hommes-Couleurs (qui avait reçu le prix du Livre Inter), Cloé Korman livre ici un roman bouleversant et nimbé de lumière. La construction du récit, la dialectique permanente entre la scène et la ville, la torpeur et l’hiver, la vie et la mort, l’éveil et le rêve, tout concourt à faire vivre une intense aventure, shakespearienne, marquante pour tous les personnages et pour le lecteur à leur suite.

Une quinzaine d’années a passé depuis que Dominique (dit Dom), Emmanuelle et Claire ont animé un stage de théâtre pour enfants durant un mois d’été marseillais. Claire est devenue médecin et elle doit soigner Dominique qu’une maladie grave amène dans son service, au terme d’une vie dissolue. Cette vie est pourtant bien ce qui avait séduit Claire et Emmanuelle, toutes deux tombées sous le charme d’une voix grave, celle de Dom, et de ses multiples dons. Le travail manuel, la tchatche, l’aura. Et le théâtre.

Cet été-là, il avait monté à Marseille avec la troupe de gamins La Tempête de Shakespeare, les impliquant avec ses deux collègues féminines dans tous les aspects de la pièce, depuis le choix des rôles jusqu’aux costumes, en passant par les décors et les inserts d’improvisation. Grâce à l’énergie et au magnétisme de Dom, les enfants s’appropriaient ainsi leur espace, leur corps et leur voix, cependant que les adultes investissaient le soir venu la plage, les terrasses et faisaient durer les soirées.

Tout concourt à faire vivre une intense aventure, shakespearienne, marquante pour tous les personnages et pour le lecteur à leur suite

Se remémorant ce stage alors qu’elle devient la dernière confidente d’un Dom de plus en plus affaibli par le mal qui le ronge, Claire, qui renoue à cette occasion avec Emmanuelle venue elle aussi revoir une dernière fois son ancien amant, tente de recomposer le parcours des pré-ados devenus adultes, cherchant leurs noms, leurs profils, leurs destins. On est particulièrement touché par le portrait qu’elle brosse de certains et par la pièce qui se jouait entre eux, malgré eux, alors qu’ils en apprenaient une autre.

Un personnage d’enfant notamment devient le point central du livre en ce qu’il noue à la fois son intrigue et la gorge. Elle est l’enfant qui accepte le rôle que personne ne veut — elle s’appelle Joséphine Voulant. Ce rôle, c’est celui de Caliban, sorte de monstre, bloc pur de catharsis dans l’interprétation duquel elle verse une rage étrange, insaisissable. Petite fille battue, vêtue trop large en conséquence, ballotée entre un père en retrait et une mère mal remariée, elle s’évade vers le Vieux Port lors d’une soirée suspendue durant laquelle l’errance inquiète des jeunes femmes parties à sa recherche dans le quartier du Panier établit un dialogue en creux, seul échange possible avec l’inexprimable solitude de Joséphine.

« En attendant, demain m’enivre », psalmodie Nabil Andrieu. Ces paroles résonnent alors que la saison passe. Cloé Korman capte comme personne l’essence de l’été, cette capacité de tout innerver de sa saveur, mais de le faire avec un corollaire en forme de sortilège. Car la tristesse propre à la fin de l’été, proverbiale et chantée depuis des siècles dans des comptines, est la condition de sa beauté et sa trace en nous toute l’année, toute la vie. Si cela passe par le drame dans ce roman, ce n’est que pour rendre plus universelle la loi estivale.