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La Crête des damnés de Joe Meno : la jeunesse sonique

Paru le 3 septembre 2019 aux éditions Agullo - traduction : Estelle Flory

Par Benjamin Fogel, le 04-09-2019
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2019' composée de 9 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2019. Voir le sommaire de la série.

Pour son troisième roman aux éditions Agullo, après Le Blues de La Harpie et Prodiges et Miracles, Joe Meno plonge dans son adolescence et dans les années 1990 au travers du personnage de Brian Oswald, un gamin lambda du mid-west américain, dont le seul signe distinctif, au début du livre, est sa passion pour la musique à guitares et plus spécifiquement le métal. Amoureux de sa meilleure amie Gretchen, une punk qui méprise la norme, perdu dans un monde dont il ne maîtrise pas les codes – par inexpérience et compte-tenu de l’impossible de trouver des renseignements sur ce qui est cool ou non, intéressant ou dépassé –, Brian part dans une quête de lui-même qui passe par une exploration des différents mouvements qu’un jeune pouvait rejoindre à l’époque.

Avant l’ère Internet, la multiplicité des chapelles – punk, grunge, métal, hardcore, rap, fusion, chacune divisée en dizaines de sous courants, dans les années 1990 –, l’incapacité à trouver des informations sur ces chapelles, et les barrières économiques à l’écoute des albums faisaient de la musique le principal signe de ralliement. On traînait avec des gens par affinité musicale, contrairement à aujourd’hui où les chansons sont accessibles avec une telle facilité qu’elles ne jouent plus le rôle de facteur discriminant. Faire ressusciter cette époque sans tomber dans une surévaluation du rapport à la musique, mais en illustrant comment celle-ci influençait les vies et les amours constitue un enjeu bien plus complexe qu’il n’y paraît, auquel La Crête des damnés répond avec brio. `

Une déconstruction du rapport à la musique

Alors qu’il ne cesse de s’engouffrer sur des terrains casse-gueule – le racisme, la religion, la masturbation – et de proposer des scènes qui pourraient tomber à plat – virées en voiture, squat dans les caves des potes, réalisation de compiles en mode High Fidelity de Nick Hornby –, Joe Meno trouve non seulement le ton juste, mais transcende son récit sans le moindre faux pas. Les références musicales, à ce titre, constituent un exemple parlant : au lieu d’étaler les noms de groupes, de valoriser ses connaissances et son bon goût – comme beaucoup, dont moi, l’auraient fait –, Meno montre combien, adolescent, on se prétend fan de musique alors que l’on connaît très peu de groupes, et qu’en réalité on ne possède parfois qu’un album de ces derniers. C’est un plaisir de voir les tracklists de compilations comprenant plusieurs titres des Guns N’ Roses, des Smiths ou des Misfits. Ce qui est très bien vu aussi, c’est ce qu’on ne voit pas dans le livre : l’explosion de Nirvana et du rap. Cela montre combien l’information ne circulait pas, combien les jeunes pouvaient, focalisés sur leurs chapelles, rester à l’écart des nouveaux mouvements.

Au cours du livre, Joe Meno va se livrer à une déconstruction du rapport à la musique, moquer les faux punks, qui prônent l’anarchie et le décloisonnement, pour finalement faire de leur attirail vestimentaire et de leurs disques une muraille infranchissable, multiplier les phrases cultes, comme « les straight-edge, on aurait dit le conseil des élèves de la scène punk » ou « le punk est mort, et t’es le prochain sur la liste » et proposer un livre d’une puissance folle sur les émois adolescents.

Enfin, il faut souligner la traduction subtile d’Estelle Flory, dont on imagine qu’elle contribue grandement à cette fameuse « justesse » du livre.