Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

Les Promesses orphelines de Gilles Marchand : la fiction déviée par le réel

Publié le 22 août aux Forges de Vulcain

Par Benjamin Fogel, le 22-08-2025
Littérature

Gino, né en 1946, est un garçon comme les autres. Peut-être un peu plus rêveur que les autres. Et un peu plus triste aussi – à cause du décès de son père dans un accident de voiture. L’année de ses 8 ans, alors qu’il vient de déménager dans un village de l’Orléanais avec sa mère et son frère, Gino rencontre Roxane, celle qui deviendra l’amour de sa vie. Les Promesses orphelines vient de débuter, et le lecteur en est déjà persuadé : Gino va s’extirper de sa campagne, pour occuper une place de choix dans le futur qui s’apprête à déferler sur le monde.

Il n’en est rien. C’est même tout l’inverse. Alors que la fiction raffole des destins incroyables et des parcours iconiques, Gilles Marchand s’intéresse, non pas aux seconds rôles, mais aux figurants. À ces personnages qu’on aperçoit seulement en toile de fond, sans y prêter attention, empêtrés que nous sommes dans nos envies d’extraordinaire et de protagonistes qui surmontent l’adversité.

Le réel qui déçoit. Celui où les rêves ne se réalisent pas

En prenant ce contre-pied, Gilles Marchand, écrivain du réalisme magique, fait le choix de s’ancrer pleinement dans le réel. Le réel qui déçoit. Celui où les rêves ne se réalisent pas. Celui où l’existence humaine reste à hauteur d’homme, sans jamais briller dans la lumière. Le réel dévore le roman, au point de le faire dévier de sa trajectoire fictionnelle, et de ramener Gino à l’impossibilité, pour le commun des mortels, de concrétiser ses aspirations.

Pour autant, ce réel qui s’impose et prive Gino de la féérie espérée n’empêche pas Gilles Marchand de déployer son réalisme magique, via de petites touches poétiques et des personnages fantasques – voire fantastiques – comme René, tout droit sorti de Requiem pour une Apache, un des précédents romans de l’auteur, ou « la dame de l’Institut français d’opinion publique ». À travers eux, Gilles Marchand rappelle à quel point le merveilleux peut s’immiscer dans le plus morne des quotidiens.

Les Promesses orphelines explore la face cachée des Trente Glorieuses

Les Promesses orphelines explore la face cachée des Trente Glorieuses, période fantasmée, et gorgée d’images d’Épinal, principalement issues de publicités d’époque. Ces publicités, Gilles Marchand a l’intelligence de les intégrer au texte, pour souligner l’écart entre la modernité vantée et la réalité des citoyens, pour qui la technologie restera longtemps une promesse non tenue.

Il en ressort un roman sur la vitesse à laquelle file le monde, en laissant les gens sur le bas-côté : vitesse à laquelle les rêves sont ringardisés et vitesse à laquelle le futur des uns devient le passé des autres. Dans ces conditions, il ne suffit pas de se battre pour trouver sa place dans le monde : on est souvent impuissant face au monde qui tourne sans nous. Un rappel qui fait des Promesses orphelines un roman très politique, vent debout contre le mythe de la méritocratie, le tout sans jamais être condescendant.

Gilles Marchand continue de creuser l’histoire de France, avec sensibilité et éthique

Après Le Soldat désaccordé – dont il est fait mention dans le texte –, Gilles Marchand continue de creuser l’histoire de France, avec sensibilité et éthique, à travers des personnages, qui ne sont ni les vainqueurs ni les perdants, mais qui peuvent se targuer d’incarner la vérité de l’expérience humaine.