À la table des loups d’Adam Rapp : d’où viennent les tueurs en série
Publié le 22 août 2025, aux éditions du Seuil. Traduit par Sabine Porte
De 1950 à nos jours, À la table des loups suit une famille américaine, issue d’Elmira, dans l’état de New York, sur sept décennies : les Larkin, une famille américaine typique, ancrée dans la religion catholique et accordant toute sa confiance au mythe de la croissance. Un papa, une maman, six enfants (quatre filles et deux garçons) confrontés à la manière dont le mal s’infiltre et métastase, y compris chez celles et ceux qui se croient protégés par leurs valeurs, leur morale et leur normalité. Chacun des six enfants va suivre une voie, qui reflète un pan du rêve américain, ou plutôt la face sombre de celui-ci : Myra, l’aîné, devient infirmière et éduque seule son fils, Roman ; Fiona, actrice de théâtre ratée, vit une vie de bohème à New York, après un passage dans une secte new age ; Alec, exclu du foyer familial après avoir commis un larcin à l’église, et homme sans compétence, passe sa vie à fuir, en se rapprochant chaque jour un peu plus de la fange ; Joan possède un handicap mental et reste à la charge de ses parents ; Lexy, ambitieuse, se transforme en WASP, grâce à ses études et un bon mariage ; et enfin, Archie, le nouveau-né de la famille connaît un destin tragique.
Myra et Alec constituent les deux extrêmes de cette cartographie. La première souhaite vivre sa vie comme une sainte, tandis que le second, qui hait sa famille, l’Amérique et l’existence, fricote avec le Diable. Au fur et à mesure des pages, Adam Rapp nous montre combien ils sont la facette d’une même pièce, à l’image du flic et du tueur qu’il traque, dans un polar. Myra, par sa lâcheté, et son incapacité à dénoncer des crimes, contribue à l’expansion du mal. En filigrane, À la table des loups rappelle que pour que la violence et les agressions sexuelles perdurent, il faut des criminels et des personnes qui les couvrent, notamment parce qu’elles pensent pouvoir les sauver.
Il y est question de comment les forces néfastes – qu’il s’agisse de traumas, de maladies ou des conséquences des dogmes religieux – se transmettent de génération en génération. Le syndrome de stress post-traumatique du père de la famille Larkin, la piété de la mère, les troubles psychologiques du mari de Myra : autant d’éléments qui ressurgiront chez leurs enfants, par des voix plus ou moins détournées.
L’histoire du mal traverse les personnages, qui croisent la route du tueur de masse John Wayne Gacy, et de Richard Speck, qui le 14 juillet 1966, a poignardé et étranglé huit infirmières à Joliet dans l’Illinois, où vit Myra. Ces références servent à ancrer le roman dans le genre, et à souligner qu’il s’agit bien d’un livre sur les monstres et les assassins.
À la table des loups est bel et bien un grand livre sur la fabrique des tueurs en série aux États-Unis, mais qui par le talent d’Adam Rapp devient un grand roman sur la famille.