Depuis que sa femme l’a quitté, Robbie Prendergrast (Tom Pelphrey) élève seul ses deux enfants, avec l’aide de sa nièce Maeve. Éboueur, il sillonne les rues avec son meilleur ami, Cliff Broward. L’occasion pour les deux hommes de repérer les planques des dealers de fentanyl, avant de braquer ces derniers. Un des cambriolages finit par déraper. Quatre personnes sont tuées, dont un couple sous les yeux de son petit garçon de 6 ans, nommé Sam. Pris au dépourvu, Robbie et Cliff embarquent l’enfant avec eux. Branle-bas de combat au sein du FBI, qui réagit avec la mise en place d’une task force, menée par Tom Brandis (Mark Ruffalo), un ancien prêtre, reconverti, qui vient de perdre sa femme.
Tout comme Mare of Easttown, la précédente et ténébreuse série de Brad Ingelsby, Task se déroule en Pennsylvanie, dans une banlieue américaine, frappée de plein fouet par la crise économique, et dont il ne subsiste plus que des résidus du rêve américain. La série met en scène deux hommes au bord du gouffre. L’un dévoré par la vengeance, l’autre par culpabilité. Tous deux sont rongés par un deuil, qui a engendré la destruction, puis la recomposition de leur famille, sous une forme alternative. Tous deux sont des pères célibataires, qui aiment leurs enfants, et veulent les protéger, sans toujours savoir comment s’y prendre. Antithèse des pères violents ou absents, ils fonctionnent en miroir, chacun incarnant une version de l’autre dans une classe sociale différente. Si l’on est impatient que Tom attrape Robbie, c’est avant tout pour que ces deux-là se confient leur histoire et leurs traumatismes, à l’image de la rencontre entre Vincent Hanna (Al Pacino) et Neil McCauley (Robert De Niro) dans Heat de Michael Mann.
Quasi-toutes les pièces du puzzle de ce polar sombre, aussi maitrisé que réussi, sont données dès le départ aux spectateurs et spectatrices. On suit tous les protagonistes impliqués, qu’il s’agisse des policiers, des braqueurs, ou des bikers, dealers de drogue. À l’exception d’un rebondissement mal amené, chaque élément narratif de Task s’inscrit dans un engrenage infernal, qui illustre l’impasse de l’Amérique des laissés-pour-compte. Car le point commun entre tous les personnages est la misère. Le FBI, qui incarne dans l’imaginaire collectif, un niveau supérieur en termes de ressources déployées par l’État pour résoudre les crimes, s’avère ici désargenté et privé de budget, imposant à ses agents de travailler avec les moyens du bord. Les dealers, qui brassent des millions, vivent eux dans des baraques similaires à celle de Maeve et Robbie Prendergrast. Tous les personnages sont dévorés par l’alcoolisme, par les violences intrafamiliales, ou encore par des échecs relationnels.
Au cœur de ces vies brisées se trouvent les enfants. Des enfants aimés par des parents qui ne savent pas prendre soin d’eux, des enfants abandonnés à leur sort, qui n’ont que leur pureté pour lutter contre la réalité du quotidien. Quel avenir pour ces enfants réceptacles des errements de leurs parents ? Quel avenir pour ces enfants dans un pays, qui voit ses centres juvéniles fermer à cause du manque de moyens ? En filigrane, Task est une série sur la protection de l’enfance, qui interroge le rôle des familles d’accueil, l’adoption par des proches ou par des inconnus, ainsi que la prise en charge des maladies mentales chez les adolescents.
La série s’intéresse aux familles recomposées, qu’elles soient fonctionnelles ou toxiques. La base de la fameuse task force ne se situe pas au sous-sol d’un bâtiment administratif, mais dans une maison délabrée, dans laquelle les membres emménagent telle une nouvelle famille. À l’opposé, comme le rappelle Perry (Jamie McShane), un des chefs des dealers de drogue : les Dark Hearts forment une famille. Il est aussi question de familles atypiques avec Maeve, Robbie et les enfants de ce dernier ; ou avec Tom, sa fille biologique et ses deux enfants adoptés. Task raconte combien les familles, dans une version moderne qui s’affranchit des normes, sont le seul ancrage que l’on peut espérer trouver, tout en risquant de s’y brûler les doigts.