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Cible facile pour les critiques, on peut en premier lieu reprocher à ce nouveau Fincher ce côté trop « courses aux Oscars », cet aspect bien policé. Ensuite on peut ouvertement se plaindre du manque d’émotion que dégage le film et de l’étrange banalité de son scénario. Car la première bizarrerie du nouveau Fincher est que le thème central de son film (le fait que Benjamin Button naisse vieux et rajeunisse au fur et à mesure) n’impacte quasiment pas sur le déroulement du scénario. Même l’histoire d’amour Benjamin / Daisy s’inscrit finalement dans un déroulement sentimental des plus classiques où la particularité de Benjamin aurait bien pu être remplacée par n’importe quelle maladie ou situation qui rendraient leur amour impossible. A ce sujet, on sent d’ailleurs bien combien Fincher n’est pas à l’aise avec la thématique de l’amour. Combien de temps représentent les vrais moments d’épanouissement amoureux des deux personnages : un petit quart d’heure sur deux heures trente cinq ? Et encore il s’agit d’un quart d’heure en mode montage où (comme dans n’importe quelle illustration du bonheur) Brad Pitt et Cate Blanchett passent leur temps à se peinturlurer la gueule plutôt que d’avancer sur la rénovation de leur appartement. Manifestement il faut toujours en passer par là pour montrer qu’on est amoureux (Ce qui remet donc fortement en cause la force des sentiments que j’ai pu développer par le passé pour certaines femmes).De manière générale « L’étrange histoire de Benjamin Button » rappelle beaucoup de films du même calibre. « Forest Gump » bien sûr avec qui il partage le même scénariste et une évolution similaire du récit (enfant différent qui a du mal à se déplacer et à fréquenter le monde extérieur, premier lien d’amitié avec une jeune fille qui deviendra l’amour de sa vie, puis séparation, voyage, évolution, retrouvaille…) et surtout la même mise en valeur des effets spéciaux invisibles (le vieillissement/rajeunissement d’un côté, l’infirmité de Gary Sinise de l’autre). Mais aussi « Titanic » pour ce côté histoire d’amour transgénérationnelle racontée par l’héroïne vieillissante. Là aussi Fincher n’est pas à l’aise, les scènes dans le présent étant peu inspirée. On pense bien sûr également à « The Fountain » pour ce traitement pseudo-philosophique via des images que certains trouveraient ampoulées.

Enfin bon voilà, ne pas aimer « L’étrange histoire de Benjamin Button » peut paraître légitime. On peut dire que Fincher a sorti un film « commercial », qu’il est passé à côté de son sujet, oui on peut le dire, après de là à avoir raison…

Reprocher à « L’étrange histoire de Benjamin Button » de manquer d’émotions, c’est comme reprocher à Converge de manquer de mélodies. Fincher un film avec de l’émotion ??? Et puis quoi encore ? La majorité des films de Fincher ont pour premier leitmotiv un défi visuel : couleurs sablées et ambiances pluvieuses pour « Seven », effets stylistiques pour « Fight Club », plans séquences à foison pour « Panic Room », perfection de la reconstitution pour « Zodiac ». Ainsi comme à son habitude « L’étrange histoire de Benjamin Button » est avant tout un film sur l’image où Fincher s’essaye à un univers à la lisière entre le baroque et le classicisme ; il y a du Jeunet et du Caro là dedans, voir du Terry Gilliam. Fincher. C’est comme des solos dans un groupe de Free Jazz, ça s’apprécie juste pour la technique, pour les plans parfaits, pour la photographie exemplaire, pour le souci du détail, pour tout ce travail, pour cette amour de l’image. En ces temps où les réalisateurs se font paresseux, où le minimalisme vient cacher les négligences, il est toujours plaisant de contempler le travail d’orfèvre, d’un type qui accorde son implication à ses ambitions.

Il faut vraiment faire sa fine bouche pour ne pas se laisser captiver par les retrouvailles nocturnes entre Brad Pitt et Tilda Swinton, pour ne pas sourire devant le gag récurent de l’homme toucher par la foudre, pour ne pas contempler ces beaux moments de poésie visuelle, pour ne pas se ravir du rajeunissement de Brad Pitt. Et puis, il y a cette galerie d’acteurs, ces gueules, Cate Blanchett en tête. (J’exlue Julia Ormond qui est trop fade dans ces scènes dans le présent dont je n’ai toujours pas compris l’intérêt). Enfin si le scénario ne brille pas toujours pas son originalité, on ne peut pas y déceler la moindre incohérence, ou encore s’agacer sur des dialogues bâclés. C’est propre et carré, et c’est déjà plus que la majorité des films américains récents.

A mes yeux, « L’étrange histoire de Benjamin Button » est un film « Bigger Than Life » dénué de niaiserie comme peu peuvent en réaliser. Il me rappelle « Big Fish » de Tim Burton ou bien « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » de Jean-Pierre Jeunet, et représente le point d’équilibre parfait entre un cinéma d’auteur dont la pâte du réalisateur est présent à chaque plan et un cinéma populaire de qualité. Il n’est pas question de passage à la maturité (Fincher a-t-il vraiment toujours été immature ?) mais plus de prolonger une filmographie qui au vu de la personnalité des œuvres qui la composent prouve combien David Fincher est exigent, ambitieux, et peut, sans rougir, prétendre souhaiter entrer dans le top ten des réalisateurs mondiaux.

Note : 9/10