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A cause de mon blackout acouphénique récent, j’ai complètement oublié d’écrire quelques mots sur Our Body, merveilleuse exposition qui semble interloquer beaucoup de monde et susciter pas mal de débats. Alors avant toute chose, je ne rentrerais pas dans la question morale de l’exploitation de corps de défunts sans le consentement de ces derniers et ce à but scientifico-artistico-lucratif. Il y a là un débat moral des plus intéressants, mais de 1) Playlist Society a pour ligne éditoriale les critiques d’œuvres et d’art – et je souhaite m’y tenir – et de 2) mon côté cynique m’amènerait sûrement à récolter dans les commentaires les plus injurieuses (et sûrement justifiées) insultes.

Alors pour résumer, Our Body c’est de la sculpture sur corps humain, une matière première de travail passionnante mais peu utilisée jusque là. A la lisière entre les approches scientifiques, techniques et artistiques – il s’agit du discours officiel mais je rajouterais avec quasi certitude lucrative tant personne ne peut nier l’ambiance foire qui règne dans la salle d’exposition de l’espace Madeleine – on nous propose une sorte de malaise visuel rendu possible par « l’imprégnation polymerique ».

L’exposition est organisée par thématiques médicales (muscles, appareil digestif, respiratoire, génital), et les corps replacés dans des positions de la vie de tous les jours, un tel faisant du vélo, tandis que l’autre joue aux échecs. Les postures et les expressions des visages (Cf « Appareil Locomoteur ») font clairement références à l’univers de la sculpture, sauf qu’il s’agit de vrais corps et que le malaise ne fait que grandir. Du coup pour amoindrir la tension, le public rit nerveusement. Certains ont des approches enfantines (« Bah dis donc, c’est vrai que les chinois ont des toutes petites bites ») d’autres regardent ça sous un œil plus professionnel (« Oh là là, tu as vu cette couche antérieure de la paroi péri-ombilicale, c’est ravissant »). Mais bon au final personne ne fait le malin devant ces corps découpés en tranche, tant on est pas loin du film d’horreur. D’ailleurs je n’ai pas en mémoire des films allant aussi loin dans le « découpage ».

Maintenant il se passe quand même quelque chose d’intense quand on se trouve par exemple face à « L’écorché avec muscles desinsérés ». On est vraiment face à une œuvre, un homme qui se déploie comme une fleur et dont le titre mêmes fait référence à la fois à la pure description technique et à l’art en général.

Ces corps plongent forcément le visiteur dans des abîmes de question sur le sens de la vie, et surtout sur la vie après la mort. Les corps présentés portent encore les stigmates de l’existence de leur hôte, comme des prothèses de genoux, témoignage que oui cette chose inanimée devant nos yeux a bien vécu et souffert.

On peut reprocher (ou pas, selon ses affinités) que l’aspect art contemporain de l’exposition ne soit pas plus valorisé par une meilleure utilisation de l’espace et de l’éclairage. J’aurais été ravi de voir la même chose à la Fondation Cartier par exemple. Mais dans l’ensemble, si l’on omet les questions morales, cette exposition touche en plein dans le mille, elle est angoissante, parfois belle et pose, à la vue de ce système à la fois si complexe, si bien huilé et si fragile, une vraie question « Notre corps est-il notre ami ou notre ennemi » ?

Note : 8/10

EDIT : L’exposition “Our Body” vient d’être interdite par la justice. Plus d’informations sur Le Monde.