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Le truisme, qu’il est pourtant bon de rappeler, est que « Harry Potter et le Prince de Sang Mêlé » n’est pas un film solitaire mais l’une des pièces d’un puzzle dont le premier bout de carton date d’il y a déjà plus de 8 ans. L’idée de prendre des acteurs de 10 ans, de les suivre tout au long d’une histoire qui se déroule sur 7 ans, de les regarder grandir et de les voir s’affirmer, était en soi un pari risqué, où l’évolution, ne serait-ce que physique, des acteurs constituait une grande inconnue. Cette initiative est, de mémoire de cinéphile, déjà suffisamment insolite pour qu’on accorde à la série l’intérêt qu’elle mérite.

Mais plus encore, l’élément le plus intéressant et rarissime dans la saga Harry Potter est sans nul doute son homogénéité. Malgré 4 réalisateurs aux backgrounds diamétralement opposés – Chris Columbus fait plutôt dans le divertissement familial (« Maman, j’ai raté l’avion », « Madame Doubtfire »), Alfonso Cuaron donne dans le cinéma futuriste et stylisé (« Les fils de l’homme »), Mike Newell est légèrement insaisissable (« Quatre mariages et un enterrement », « Donnie Brasco » et bientôt l’adaptation du jeu vidéo « Prince Of Persia »), quant à David Yates, qui réalise donc les 4 derniers épisodes, il ne s’est illustré que par la mise en scène de la série « State Of Play » récemment adapté au cinéma par Kevin Macdonald sous le nom de « Jeux de pouvoir » – les films n’ont jamais souffert de la moindre incohérence que se soit au niveau des ambiances, du ton ou bien de l’esthétique. Les épisodes s’enchevêtrent aussi bien que dans « Le Seigneur des Anneaux » (la référence absolue en terme d’adaptation de roman dîtes impossible). Pourtant on sait combien un changement de réalisateur peut tout gâcher (confère le catastrophique remplacement de Bryan Singer par Brett Ratner sur la trilogie X-Men).

« Harry Potter et le Prince de Sang Mêlé » ne se critique donc pas comme un simple stand alone mais bien comme une partie prenante d’un tout. On reproche essentiellement à ce sixième opus qu’il ne s’y passe pas grand chose, que l’on se focalise trop sur les états d’âme du trio Harry Potter / Hermione Granger / Ron Weasley, au détriment de la résolution de l’intrigue et de la mise en suspens des mystères. Oui c’est vrai, le film prend son temps mais qui irait reprocher aux meilleures séries télé, « Lost » en tête, de ne pas développer ses personnages et de laisser la narration et la création d’ambiance prendre le pas sur l’action ?

Ainsi « Harry Potter et le Prince de Sang Mêlé » possède bien des qualités. Bien qu’on l’ait beaucoup comparé à « L’ordre du Phénix », il y est pourtant supérieur sur beaucoup de points :

– Un gap important a été franchi en terme de réalisation. Ce nouvel épisode est splendide de bout en bout, et multiplie les effets de styles. Les plans séquences sont nerveux (lors de l’introduction où les Mangemorts traversent la ville, lors du trajet en train ou encore lorsque la caméra fait le tour de Poudlard…). La caméra se faufile où elle veut, filmant sous la pluie l’extérieur du magasin Borgin and Burkes avant de traverser la vitre et de transfigurer la colorimétrie visuelle. De nombreuses scènes usent avec délicatesse et raffinement des jeux d’éclairage créant alternativement des ambiances enchanteresses et angoissantes. Quant aux décors, ils sont soignés à l’extrême, regorgeant d’imagination pour permettre à David Yates de donner corps au conte.

– La narration est mieux construite. J’avais beaucoup reproché au cinquième épisode de ne pas s’être plus attardé sur les relations entre Harry et Sirius Black, au contraire ici, tout coule de source sans jamais laisser sous-entendre au spectateur qu’il y a eu de la coupe au montage.

– Enfin, il faut bien l’admettre, « Harry Potter et le Prince de Sang Mêlé » est particulièrement drôle. Daniel Radcliffe et Rupert Grint révèlent un véritable potentiel comique qui est toujours exploité à bon escient. Ainsi les amourettes adolescentes, passage obligé du développement des protagonistes, sonnent toujours justes en préférant jouer la carte de l’humour plutôt que celle du sentimentalisme.

Alors oui les puristes reprocheront évidemment à cet opus de prendre certaines libertés un peu incompréhensibles avec le roman, comme lors de cette scène rajoutée où les Mangemorts et la toujours très burtonnienne Helena Bonham Carter s’en prennent à la maison des Weasley. On tiquera aussi sur la mise à l’écart de certains personnages comme Alastor ‘Fol-Oeil’ Maugrey ou des autres frères Weasley, ainsi que sur l’absence du contexte politique. Mais bon l’adaptation en un temps si délimité d’une telle œuvre impose forcément des choix scénaristiques. Ces choix sont parties prenantes de la nature de l’exercice et il serait malvenu de s’en plaindre. Au fond le seul vrai reproche est pourquoi ne pas avoir traité tous les épisodes comme « Harry Potter et les reliques de la mort », c’est-à-dire en les divisant en deux parties afin de coller au mieux au matériel de base, et ce quitte à réaliser certains opus qui auraient manqué un peu de rythme.

Pour conclure, je dirais qu’il est dommage de voir certains mépriser la saga Harry Potter, de n’y voir qu’un divertissement, et de rester dans le cliché de l’œuvre pour enfant. Car à bien des égards, David Yates redémontre, s’il était encore nécessaire de le faire, que la poésie visuelle et la virtuosité technique sont plus que jamais compatible avec l’univers de J.K. Rowling.

« Harry Potter et le Prince de Sang Mêlé » est un très bon film, possédant une galerie de personnages impressionnante (le sinistre Alan Rickman, le mal assuré Tom Felton et le toujours gandalfien Michael Gambon) et qui réussit le pari de rendre crédible et cohérent un épisode qui opposait deux aspects antinomiques : la découverte de la puberté et l’accroissement de la noirceur des protagonistes. A mon avis, nombreux sont les réalisateurs qui s’y seraient cassés les dents.

Note : 8/10