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TURZI – B

Par Benjamin Fogel, le 25-08-2009
Musique

Il y a deux ans Romain Turzi venait confirmer une improbable réalité: après Air, Phoenix, Daft Punk et Le Klub Des Loosers, son album « A » prouvait que Versailles était le New York français, une niche à talent infini, le centre névralgique musicale de l’hexagone, où un réseau secret prenait les enfants au plus jeune âge pour en faire des artistes innovants et précurseurs qui seraient la fierté du pays. Versailles, pourquoi Versailles ? Un tel hasard n’est pas possible ! Une mystérieuse compagnie volerait-elle nos petites têtes blondes pour les faire grandir dans une institution destinée à exacerber leur sensibilité artistique (Oui parler de « sensibilité artistique » pour Fuzati est une vue d’esprit) ? Plus sérieusement, pas mal d’éléments sociologiques explicitent l’existence de cette niche qui réunit les conditions idéales au développement des artistes : éducation musicale, facilité financière, ennui, volonté de se différencier, besoin de s’échapper du carcan… autant de raccourcis faciles qui permettent de définir une typologie de profil. Pour plus de précisions, je vous conseille la lecture des textes de « Sous le signe du V » ;) Avec tout ça, on s’étonnerait presque que Poni Hoax ne soit pas non plus de la ville du 78.

A la sortie de « A » dont tous les titres commençaient par la lettre A, Romain Turzi n’avait pas caché ses intentions. Cet opus n’était que la première pierre d’une œuvre qui préférerait la prétention au manque d’ambition. Can et Neu! Remis au goût du jour et bercés d’échappées électroniques !

Toujours accompagné par le « Reich IV » (une référence au compositeur Steve Reich qui aurait pu être mal interprétée) et qu‘on aurait rebaptisé le « Four Organs », Turzi vient replacer l’art contemporain, la démarche conceptuelle, la négation de la facilité et l’annihilation du divertissement au sein de la scène rock.

« B », dont tous les titres sont des noms de villes commençant évidemment par la lettre B, ne lorgne vers le passé que pour y puiser l’énergie des maîtres, et non pas pour s’en imposer comme le successeur. L’album est toujours sur la corde raide, tout semble à la fois très pensé et complètement improvisé, et pour chaque titre on ne sait si ce dernier est enregistré en live dans une cave où s’il est le résultat d’un long travail en studio (la bonne réponse étant qu’il s’agit de prises essentiellement live parfaitement produites, masterisés et mixés).

Turzi fonctionne comme usine où chaque instrument aurait sa propre ligne de production, où les martèlements incessants des machines et des outils de travail finiraient par s’harmoniser pour créer des mélodies hypnotiques qui ne se révéleraient que la nuit, lorsque l’usine est fermée et que par un phénomène inexpliqué, elle se remettrait à fonctionner seule.

« Beijing », qui ouvre l’album, déstabilise : son clavier satanique, qui soutient l’architecture de guitares, plonge l’auditeur dans une ambiance gothico-métal. On se croirait perdu dans l’intro d’un Marylin Manson, voir sur un interlude d’un groupe de black-métal. « B » est bien la suite de « A », mais il en est une évolution et non le prolongement. Il y a ici un côté cirque de la terreur, une sorte de métal de fête foraine, une invitation burtonnienne au voyage. « Buenos Aires » permet à l’auditeur de retrouver le Turzi qu’il connaît, via un krautrock germanique à la hauteur de Can. « Bombay » confirme les pressentiments. « B » sera rock ou ne sera pas. Avec des guitares des plus indus et son aspect instrumental hypnotique, le français fait de son album une métaphore de la révolution industrielle. Alors que tous les groupes semblent tourner vers le passé, Turzi essaye de définir le rock de l’an 3000 et clairement ce rock là ne reniera pas l’influence des grosses guitares.

Dans une ambiance qui se fait déjà de plus en plus pesante, le mystique « Bethlehem » truffé de sonorités qu’on jurerait enregistrées dans la grande pyramide d’Egypte comme à la grande époque de Killing Joke, joue avec les battements du cœur de l’auditeur. Au sein de tant de noirceur, « Baltimore » permet un revirement de situation. Invitant Bobby Gillespie de Primal Scream au chant, le titre s‘affirme comme un single puissant via une electro rock succulente qui attaque LCD Soundsystem sur son propre terrain.

« Brasilia » délaisse succinctement les guitares pour y préférer des boucles électroniques. Turzi impressionne alors par sa capacité à maintenir l’hypnotisme quelque soit la typologie sonore utilisée. « Bangkok » est un véritable escadron de guitares. Comme sur pas mal des autres titres, l’esprit indus semble se greffer à celui du Krautrock, on pense à Ministry pour cette science du riff violent et surproduit.

« Baden » est symptomatique du mélange son live / profondeur de la production. L’ambiance nous replonge dans les heures sombres de Massive Attack, un véritable trip hop de l’Enfer. « Bogota », via sa ligne de basse ronde et chaude, se rapproche de « A » pour marquer la continuité avant de laisser Brigitte Fontaine conclure sur « Bamako » par une obscure comptine, véritable réponse au Notre Père de l’album précédent.

Pas facile d’accès, ne cherchant jamais la complaisance ou le plaisir de l’auditeur, « B » poursuit avec brio le long parcours alphabético-initiatique entamé par Turzi. Un disque martial qu’il est difficile de s’approprier mais qui possède une aura addictive.

Note : 8/10

>> « B » sortira le 27 octobre et Turzi sera en concert le 29 octobre à l’Elysée Montmartre.
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