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Peu d’artistes français sont capables de briller et musicalement et textuellement parlant tout en conservant leur langue d’origine. Emilie Simon est de ceux-là. « Végétal » son précédent opus l’avait prouvé, elle est capable de produire des perles électroniques sans jamais faire passer au second plan la poésie innée de ses textes (« Fleur de saison », « Annie », « Rose hybride de thé »…). Dans ces conditions, on ne peut que lui en vouloir d’avoir choisi l’anglais pour son nouvel opus. Quant on possède un talent si rare, on se doit de le cultiver. Néanmoins en écoutant, « The Big Machine » on comprend combien les ambitions de la belles sont ailleurs. Production massive, voix qui a incroyablement gagné en maturité et qui ne souffre pas de la comparaison avec les plus grandes vocalistes, chansons à l’effet immédiat : clairement notre petite protégée ne joue plus dans la même cour.

Porté par une magistrale boucle électronique « Rainbow » a tout de la chanson qui fera le bonheur des remixeurs. Depeche Mode n’est pas loin et l’enchaînement avec « Dreamland » se fait implicitement. La production, la qualité du chant, l’approche outrageusement mélodique, Emilie Simon semble sûre d’elle et prête à dominer le monde. « Nothing to do with you » est une enivrante ballade qui permet de retrouver un peu ses repères via cette voix du nord et ces sonorités dont les captations ont été réalisées à partir de on ne sait quel objet. Complexe dans sa structure et dans sa mélodie, la chanson n’en reste pas moins d’une accessibilité exemplaire. « Chinatown » confirme que celle qui hier encore ne représentait qu’un espoir a pris les commandes, humiliant sur place un groupe comme Goldfrapp. « Ballad of the big machine » s’octroie quelques passages en français et ne pouvait mieux porter son nom.

Les premières notes de « The cycle » désarçonnent de par leurs influences asiatiques mais très vite la chanson se transforme en une incroyable machine électronique complètement folle : les sons arrivent de partout, c’est dense tout en restant étonnement fluide. « Closer » incarne parfaitement le changement tant il s’agit d’une ballade dansante au beat soutenu et à l’impact sensuel. Emilie Simon chercherait-elle à chasser sur les terres des chanteuses pop au succès interplanétaire comme Madonna voir Britney Spears ? La question peut paraître absurde tant « The Big Machine » est un niveau au dessus en terme de composition, mais il n’empêche que l’album qu’il est implicite que notre princesse de glace ne souhaite plus se contenter d’un succès d’estime. Ainsi, en écoutant « The devil at my door », on se dit même qu’elle a tout pour succéder à une Tori Amos.

L’objectif est ainsi implicite : déployer son univers très personnel dans des canevas moins sombre, dans des chansons délicatement enjouées. « Rocket to the moon » illustre bien cette volonté. Au sein d’un titre connoté cabaret, au sein d’un titre faisant référence à un pan entier de la culture, Emilie Simon laisse ses intonations et ses tics transcender le morceau. Sur « Fool like us », elle retrouve subrepticement sa langue natale avant de se laisser emporter dans une étrange comptine comme elle en a le secret. Comme les chansons précédentes « The way I see you » emmène l’auditeur sur des chemins balisés avant de le kidnapper sans ménagement au milieu de la chanson. « The Big Machine » se clôt sur le soul « This is your world » qui lui aussi ne tarde pas à se métamorphoser.

Il y aurait plein de bonnes raisons de se sentir trahi par Emilie Simon et d’être déçu par ce « The Big Machine », mais il faut dépasser ses appréhensions et prendre le temps de retrouver ses marques, car sous ces electro pop songs trop parfaites se cachent toujours la même magie : cette voix grandiose, cette amour pour les boucles créées à partir d’improbables ustensiles, et cette manière d’orchestrer les violons. Sous son enrobage tape à l’œil, « The Big Machine » réussit un improbable mix entre l’univers intimiste du premier album, les envolées nordique de la « La marche de l’Empereur » et la poésie électronique de « Végétal ». Un peu comme St Vincent, Emilie Simon trouve le juste milieu entre accessibilité et complexité. Il faut un talent énorme pour réaliser un disque qui possède à ce point deux niveaux de lecture, pour réaliser un disque qui convaincra aussi bien les puristes que les néophytes. La princesse est de retour et elle réclame son trône.

Note : 8,5/10