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Que faire après avoir synthétisé toute son œuvre, toutes ses idées, toutes ses passions, tous ses combats dans un diptyque de plus de mille pages ? Qu’écrire lorsqu’on a exploré de fond en comble un style de narration qu’on a soi-même crée ? Comment se réinventer après avoir publié la somptueuse et inusable odyssée contemporaine que forme « Bienvenue au club » et « Le cercle fermé » ? C’est à cette question que devait répondre Jonathan Coe, l’un des plus brillants auteurs actuels, de ceux qui savent mélanger classicisme et pop culture, de ceux qui savent intégrer les problématiques mondiales au sein des vies complexes de leurs protagonistes. Quel angle d’attaque choisir ? Pousser encore plus loin le concept du roman-monde ? Se réinventer complètement et abandonner la littérature pour laquelle on s’est tant battu ? Clairement les opportunités n’étaient pas multiples et je ne vois pas comment Jonathan Coe aurait pu avoir la force et le courage de réembrayer direct

« La pluie avant qu’elle tombe » est donc une sorte d’interlude dans la carrière de Jonathan Coe, quelque-chose de doux, de calme et d’inoffensif, le genre de texte qu’on a envie d’écrire pour se détendre avant de s’attaquer à un nouveau projet faramineux. En temps normal, afin d’expliciter le destin d’Imogen, une jeune fille aveugle adoptée et dont la famille originelle a perdu toute trace, l’auteur anglais aurait noircit des centaines de pages au sein desquelles se seraient accumulées descriptions méticuleuses, révélations inattendues et chassés croisés de personnages. Au lieu de ça, Jonathan Coe a choisi ici de raconter son histoire au travers de 20 photos destinées à Imogen afin de lui révéler ses origines, 20 photos qui sont décrites et enregistrées sur cassettes par Rosamond, la tante éloignée, avant que cette dernière ne mette fin à ses jours. Le procédé littéraire est attendrissant et permet en 20 scènes clefs de reconstituer une épopée familiale avec ses inévitables déchirements. Et il en résulte un joli texte plus poétique que d’habitude, empli de nostalgie et d’amitiés rompues. Un esprit « carte-postale » avec ses moments de grâce et d’instantané de vie.

Néanmoins, à bien des niveaux, « La pluie avant qu’elle tombe » est de loin le moins bon roman de Jonathan Coe, car là où trônaient avant histoires complexes fourmillants d’excitantes révélations, on ne trouve qu’un récit banal, sans ambition, marqué par un certain esprit conservateur. Tout d’abord, il est difficile de s’intéresser aux états d’âme de Rosamond, un personnage finalement assez lisse qui ne cesse de vouloir interférer dans une histoire qui n’est pas la sienne et qui se prend pour une sorte d’ange-gardien, de justicière masquée de la bonne éducation, et ce afin de combler le vide affectif induit par la perte du grand amour. En tant que narratrice, le personnage principal se donne toujours un peu le bon rôle, s’offusque des comportements sibyllins de son entourage mais ne dévoile jamais ses vices et sa part de noirceur. On aurait aimé la voir plus « tendancieuse », plus malsaine, tant cette image de « tante de l’ombre » s’érigeant en modèle de conduite finit par lasser.

De plus, Jonathan Coe nous avait habitué à des textes psychologiquement forts qui se jouaient de tous clichés et qui évitaient les sous-entendus lourdingues. De ce fait, comment ne pas être légèrement écœuré par cette boucle évidente du manque d’amour des mères pour leur fille et de la répétition du schéma d’éducation marqué par le sceau du père qui bat son fils parce que son père le battait ? Ivy rejetait Beatrix, Beatrix détestait Thea et Thea maltraitait Imogen… Une redondance psychologique qui ne fait que confirmer la légère paresse qui guide l’auteur au cours de ce septième roman. De même, on passera sur les différents parallélisme finaux (le chien qui s’enfuit, le mauvais présage interprété par Gill) qui en voulant consolider le texte ne font qu’en révéler les failles.

Ainsi, « La pluie avant qu’elle tombe » souffre de la banalité qui habite tant de romans contemporains. Rien de grave ici, rien qui ne puisse remettre en cause la valeur de Jonathan Coe, juste un texte presque anecdotique où l’obsession de l’auteur pour les coïncidences et les interactions mystiques entre les destins reste prisonnière des nuages et ne mouille jamais le lecteur.

Note : 6/10