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Le rock français a souvent fait débat. Handicapé par une langue qui est souvent inconciliable avec la grâce pop, il est avant tout caractérisé par des structures banales et une sorte de résignation face au poids de son carcan. Ce n’est pas pour rien si les meilleurs groupes français ont toujours choisi l’anglais (Air, Phoenix, Poni Hoax, Diving with Andy) : les maladresses d’écriture sont toujours moins choquantes dans la langue de Shakespeare. S’accaparer la rigueur d’écriture des grands paroliers français comme Dominique A et Alain Bashung pour les poser sur des rythmiques rock/folk est un pari difficile à gagner, la voix ayant alors automatiquement une fâcheuse tendance à rappeler des mauvais souvenirs de deux décennies de chansons qui n’ont pu faire leur trou que grâce aux quotas imposés à la radio.

Comme pour beaucoup je suppose, à part les vagues souvenirs d’un premier album sincère, Mickey 3D n’évoquait que des mélodies faciles et revanchardes, des textes faussement rebelles et exaspérants mis mal en pis par un lyrisme campagnard ou tristement bucolique. Pourquoi ai-je écouté « La Grande Évasion » ? Pourquoi m’être penché ne serait qu’une seconde sur le nouvel opus d’un groupe qui me paraissait si insignifiant ? Je ne sais pas. Mais je sais pourquoi j’ai envie de vous en parler, et c’est peut être là l’essentiel. Je vous en parle parce que médire sur ce disque reviendrait à abdiquer ! Ce serait crier haut et fort que non, il est impossible de chanter en français dans un environnement pop, folk et rock. Ce serait également se désintéresser à jamais de tout groupe ayant sorti deux mauvais albums consécutifs.

Une guitare et des sonorités américanisantes évoluent peu à peu vers un schéma directeur étonnant. Il ne s’agit plus pour Mickey 3D d’amuser la galerie française, le combat semble être tout autre. Dommage que les métaphores politiques ne soient pas de la plus grande finesse induisant dans « Playmobil » les mêmes défauts qu’on pouvait reprocher à Noir Désir à l’époque de « 666 667 Club ». Mais dès le deuxième titre, le groupe affirme ses intentions et « La Grande Évasion » est lancée. Plus poétique, plus stratosphérique malgré un aspect rock et brut, « Je m’appelle Joseph » traduit une mutation qui transforme des pantins de la radio, en machine folk-pop imprévisible. Une impression immédiatement confirmé par le touchant « 1988 » où la nostalgie adolescente est bien éloignée des insupportables versets de Vincent Delerm. La guitare et les sifflements mènent la barque avec pour cap l’idée de se débarrasser de cette image « chanson/rock français ». « Méfie toi de l’escargot » manque un peu de retenue dans sa rythmique mais fait preuve d’une belle énergie non-challante. Le court pont nosiy finit de convaincre.

« L’homme qui prenait sa femme pour une plante » construit un dialogue pop à la rythmique désenchantée où personne ne connaît personne. L’intro de « personne n’est parfait » rappelle les interludes de l’abstrackt hip hop avant de s’engager sur un texte sombre et dépressif appuyé par une basse légèrement post-punk. La chanson est efficace et compose un bel exemple de pop à la française. « La footballeuse de Sherbrooke » incarne la bricolo-pop chère à Mickey 3D et s’avère assez touchante. Malgré quelques phrases, un peu mal trouvées (« et je vois bien que tu trouves ça relou ») , « Yula (ma fiancée galactique) s’avère être une jolie ballade côtoyant le meilleure de la chanson française et rappelant à mon doux souvenir le « Vive l’amour » de Jean François Cohen. Entre naïveté et gravité, sur une guitare aux influences ethnico-folk, on s’accorde sur les « On ira voir les morts qui font semblant de vivre, et puis, tout nu dans le désert tu me feras la guerre un peu comme dans film ».

« Paris, t’es belle » et « Montluçon » cassent un peu la dynamique de l’album, la faute à une certaine rengaine française, des mauvais tics liés à l’utilisation de notre langue, et des accointances avec des artistes que j’estime peu. Cependant, les chansons n’ont rien de bancales ou plutôt si mais de par leur aspect bricolo ; bancales mais toujours en équilibre. « Chanson du bonheur qui fait peur » parait anecdotique au premier abord voir kitsh avec son clavier festif mais laisse également planer une jolie naïveté rafraîchissante. Le disque ne nie pas le cynisme, mais possède une approche mélodique qui n’essaye pas rentrer dans un moule et essaye de garder son instantanéité.

Mais c’est vraiment avec « La fille du cannibale » que « La Grande Évasion » reprend de la vigueur. Débutant comme un joli moment de folk à la française, le groupe se laisse envahir par une construction montréalaise où les instruments à vent font leur effet comme sur un Arcade Fire. Clairement, sur un tel titre, le gap qualitatif franchi par le groupe est impressionnant. Comptine noire ou noire comptine, le groupe est définitivement plus à l’aise dans ses histoires burtonniene que dans ses revendications politiques, en témoigne « L’arbre du petit chemin ». Les violons sur « Les vivants » font monter la pression pour conclure le disque. La construction du titre est ambitieuse et ne se contente pas de nous asséner un simple enchaînement de couplets/refrains. Quant au texte, Nul doute que Mickey 3D a travaillé dur pour enjolivé autant son style.

Devenu compteur d’histoires sur des instrumentations qui ne souffrent pas de complexes d’infériorité par rapport à leurs congénères internationaux, Mickey 3D s’impose là où personne ne pouvait l’attendre. Accompagné d’un disque homogène qui ne mise pas sa force sur un ou deux singles accrocheurs mais bien sur une succession de titres, le groupe marque des points là où M vient lâchement d’échouer. Fermer les yeux, masquer le chant français, et réfléchissez ! Avec une voix anglophone, cet album ne vous aurait-il pas enchanté de suite ? J’ai bien peur que si…

Note : 7/10