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ONEIDA – Rated O

Par Benjamin Fogel, le 03-09-2009
Musique

S’attaquer à Oneida ressemble de plus en plus à découvrir Sonic Youth avec 20 ans de retard, l’impression de se retrouver face à un monument opaque qui ne fera aucun effort pour vous aider à percer ses mystères. Pourtant nul doute qu’il faut se forcer et plonger tel un archéologue dans les méandres de la formation de Brooklyn. Personnellement j’ai découvert Oneida en 2006 avec la sortie de « Happy New Year ». Le groupe m’apparaissait alors, en terme de défrichage musical, comme un équivalent de Tv On The Radio. Aussi l’année dernière, lorsque le groupe annonça un triptyque intitulé “Thank Your Parents” series, l’excitation fut à son comble. C’est que je connaissais encore mal le groupe américain, son goût pour l’expérimentation à outrance, pour la répétition à la Kierkegaard et pour les claviers et instruments vintage. Ainsi « Preteen Weaponry », le premier album de la trilogie me laissa coi face à tant d’inaccessibilité. Les écoutes successives n’y firent rien, j’avais l’impression qu’Oneida jouait égoïstement pour lui-même sans tenir compte du plaisir de l’auditeur.

« Rated O » est donc le second opus de la série, et est composé de trois disques ! Un triptyque dans le triptyque ! Si je n’avais écouté, et ce d’une oreille discrète, que le premier et troisième disque, peut-être en serais-je resté au ressenti précédent, mais laissons le temps aux choses de venir…

Le premier disque s’ouvre avec « Brownout In Lagos », une sorte de rock bruitiste plein de sonorités électroniques et de paroles mystiques, comme si un chanteur de ragga venait lancer des incantations shamaniques sur une instrumentation expérimentale digne des titres les moins accessibles de Can. L’entrée en matière est passionnante mais peu décourager l’auditeur s’il réalise que ce voyage sonore légèrement éprouvant n’est que la première étape d’une œuvre qui en comprendra 15. « What’s Up, Jackal? » ne rassurera personne. Décidément si le groupe souhaitait éviter que l’on s’intéresse trop à lui, c’est plutôt réussi tant on se croirait ici dans un délire orchestré par un Mike Patton sous acide (sic). « 10:30 At The Oasis » induit pour la première fois du disque, le vraie génie électronique, et il faut bien le dire mélodique, du groupe. « Story Of O » est oppressant mais démontre un talent hors pair en terme de déconstruction rythmique. Quant à « The Human Factor » et ses parties drones proches de Sunn O))), il ne nous éclairera que peu sur les intentions du groupe.

Clairement, s’il vous faut commencer par un des trois disques, le deuxième est non seulement le plus accessible mais sûrement celui qui vous fera aimer Oneida. « The River » est un tourbillon krautrock nourri au stoner, qui laisse enfin la voix prendre part à son manège fantasque. La batterie tape, les solos de guitares se multiplient, on se croirait dans une Desert Sessions. « I Will Haunt You » démarre sur un riff puissant, le chant se fait là encore typiquement stoner, et si les influences hard rock ne sont pas loin, on pense en premier lieu à Kyuss et à Queens of The Stone Age. « The Life You Preferred » démarre comme de la country futuriste avant de laisser une boucle répétitive et la voix de PCRZ prendre les commandes. Oneida se fait brillant proposant un mélange inédit, comme si Can, Suicide et Jimmy Hendrix combinaient leurs atouts pour révolutionner la musique. « Ghost in The Room » est un instrumental puissant rappelant aussi bien le post rock virulent de Pelican que la chaleur de Honcho. « Saturday » et « It Was A Wall » évoquent les constructions guitare/clavier/batterie de Tortoise mais avec l’essence de Fugazi en plus pour le second. Quant à « Luxury Travel », il s’agit d’une version soft et bien plus agréable des débordements mystiques du premier disque.

La troisième partie de l’oeuvre est peut-être celle qui me touche le moins. Composée de trois titres dissonants, elle peut rapidement, si ce n’est devenir ennuyeuse, susciter une certaine baisse de l’attention. « O », chanson symbolique de ce « Rated O » est un long trip psychédélique teinté d’arpèges arabisants. Le titre est intéressant mais finit vite par ressembler à un long jam improvisé dans la chambre d’un motel. « End Of Time » aurait plus sa place dans une salle de projection vidéo de la Fondation Cartier que sur un disque ; une sorte d’interlude entre « O » et « Folk Wisdom » (entre deux morceaux respectivement de treize et vingt minutes, 3,59 de bruit font forcément officie d’interlude). Et enfin « Folk Wisdom » qui est donc un ep à lui tout seul, une épopée psychédélique qui souffre d’être écoutée dans un état de pure réalité, mais qui conclut magnifiquement cet opéra expérimental qu’est « Rated O » tant il est une synthèse de l’esprit de groupe et de son goût pour la thématique de la répétition évolutive.

La critique se doit de synthétiser un tel disque quitte à en limiter la substance. Alors pour résumer : le disque 1 fait dans le krautrock noisy expérimental truffé de spoken word mystiques, le disque 2 est un modèle de réappropriation et de défrichage de nouveaux horizons tout en possédant son lot de titres forts, et enfin le disque 3 offre une folk psychédélique envoutante. On sort épuisé mais heureux de ce voyage initiatique, un peu abasourdi et décontenancé face aux objectifs du groupe.

Lors de mes premières écoutes de « Rated O », je me suis focalisé sur le deuxième disque persuadé de tenir entre les mains un des chef d’œuvre de 2009, persuadé que les deux autres me révéleraient encore milles autres trésors. Malheureusement, aussi intéressantes que soient leurs expérimentations, il me semble que les disques 1 & 3 dénaturent via ces couches sonores interminables le talent d’Oneida. Avec plus de concision, de retenue, nul doute que le groupe aurait atteint des sommets. En même temps, est-ce vraiment un objectif pour eux ?