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On voudrait toujours commencer ce genre d’histoire par une longue rétrospective, on voudrait toujours vous raconter de A à Z le parcours d’un groupe dont la mythologie est aussi extravagante que celle de Killing Joke. Oui j’aurais souhaité vous parler de l’approche mystique, du psychédélisme christique, de la Bible qui converse avec « Les Chants de Maldoror » de Lautréamont. J’aurais aimé vous compter les rencontres de Tibet, l’homme qui a toujours été à la tête de l’entité pluri-céphale Current 93, développer sur son cercle musical qui va de Bonnie Prince Billy à Andrew WK en passant par Nick Cave. Oui j’aurai aimé mais la légende est plus forte que l’homme. On ne démystifie pas David Tibet. C’est lui qui vous contrôle et non l’inverse. Quel disque vous conseiller ? Quel fil conducteur à suivre ? Current 93 est un groupe bien trop opaque, il ne se raconte pas et ne se vit que par intermittence.

En 2006, l’habité « Black Ships Ate The Sky » m’avait déjà complètement déstabilisé tant les effets étaient impossibles à retranscrire, et on ne pourra pas dire que ce « Aleph at hallucinatory mountain » viendra fournir son lot d’explications supplémentaires.

Un enfant empli d’une naïveté cruelle prononce ces quelques mots : « Almost in the beginning was the murderer », puis des sons de l’enfer s’alternent avec des silences de l’Odelas pour qui serait en mal d’aurore. Tibet apparaît comme un ange déchu et domine « Invocation of almost ». Les frissons parcoure le corps tant la musique de Current 93 semble venir d’un autre monde. Sur un arrière fond d’obédience drone mais qui ne délaisse pas les solos de guitares, le chanteur délivre un spoken word de l’apocalypse. La douce intro mystico-world de « Poppyskins » qui aurait, chez d’autres, été des plus ennuyeuses intrigue. Les sonorités sont multiples mais si discrètes qu’il faut une grande attention pour en saisir toutes les subtilités ; une note de basse par ci, un crissement de clavier par là. « Aleph at hallucinatory mountain » est une incantation religieuse sans fin. Je n’ai évidemment pas besoin de préciser que toutes les chansons s’enchaînent et n’en forment presque qu’une.

On ne définit pas la musique de Current 93, c’est elle qui vous définit qui vous englobe dans son flot ininterrompu, dans ses formats incongrus, dans ses mélanges improbables. Elle vous entraîne dans les tréfonds de son rock baroque (« On docetic mountains »), sur les chapitres de son histoire où on jurerait entendre le Gainsbourg de « L’histoire de Melody Nelson » venir délivrer un message (« 26 April 2007 »).

« Aleph is the butterfly net » détruit puis reconstruit les codes de la musique contemporaine. Refrains, couplets et ponts sont des notions obsolètes tant chez Current 93 chaque instrument possède sa propre voie, sa propre raison d’être et ce indépendamment du carcan de la chanson. « Not because the fox barks » se fond dans une ambiance pré-stoner, l’ombre d’un Black Sabbath sous acide transpire au travers de guitares hargneuses. « Ur shadow » est une ballase post-folk que n’aurait pas renié Wovenhand. « AS real as raimbows » est une chose que je n’ai pas encore réussi à cerner mais la patience est un allié non négligeable avec un tel groupe.

Aleph est la première lettre de l’alphabet hébreu, mais afin de comprendre la musique de Current 93, on aurait préféré que Tibet fasse référence à l’Association Lilloise pour L’Étude de la Psychanalyse et de son Histoire ; sûrement qu’ils auraient pu nous aider sur son cas. Le génie de ce disque est à l’image de son opacité. Bon courage à tous.

Note : 9/10

>> A lire également, la critique de Vincent B sur Mille Feuille et la critique de Twist sur I left Without My Hat