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LE RUBAN BLANC de Michael Haneke

Par Benjamin Fogel, le 11-11-2009
Cinéma et Séries

Les années filant, et après un futile auto-remake de Funny Games, il semble indispensable pour Michael Haneke de prouver qu’à sa manière, et de par la complexité de sa filmographie aussi bien homogène que hétérogène selon l’angle choisi, il est bien un cinéaste de l’importance de Stanley Kubrick. D’ailleurs, s’il fallait pousser la comparaison, « Le Ruban Blanc » serait définitivement son « Barry Lindon » tant le film a pour vocation non pas la recherche immédiat du plaisir du spectateur mais bien la nécessité de s’inscrire durablement dans ses souvenirs et dans sa morale.

En voyant « Le Ruban Blanc », on se rappelle que Haneke avait également réalisé une adaptation de « Le Château » de Kafka. On y ressent le même classicisme, la même méticulosité que chez les maîtres comme Fritz Lang. Bien sur le film est d’autant plus passionnant lorsque l’on connait la filmographie de l’autrichien, lorsqu’on a déjà eu l’occasion d’avoir été confronté à son travail sur la violence.

Sous ses airs de film sage qui suggère toujours plus qu’il ne montre, « Le Ruban Blanc » est peut être l’œuvre la plus dérangeante, la plus malsaine de son auteur, et ce sans même nous faire vivre un suicide traumatisant (« Caché ») ou abusé de la scarification (« La Pianiste »). La raison est qu’ici nous ne sommes pas dans la fiction, mais prisonnier dans l’Histoire à mille lieux des délires tordus d’un réalisateur fou, et que l’Histoire est toujours bien plus angoissante que la fiction.

De l’Histoire, il n’est question que de cela dans « Le Ruban Blanc ». Comment l’accumulation de la frustration a-t-elle pu changer le cours du monde ? Le professeur-narrateur nous promet de nous conter une histoire dont il ne connait ni les tenants ni les aboutissants, mais une histoire qui pourrait expliciter les événements survenus en 1914. De ce fait, le spectateur comprends très vite que comme dans « Caché » il ne connaitra jamais la solution de l’énigme, et qu’il sera le plus souvent tenu à l’écart des drames familiaux via des cameras qui n’osent jamais dépasser les seuils des portes, préférant entendre les cris de loin plutôt que d’immiscer le spectateur dans une histoire qui n’est pas la sienne. Le spectateur sera passif, il vivra les silences, la routine du quotidien, il s’ennuiera peut être aussi un peu ; un petit prix à payer pour un film qui marquera si longtemps les esprits.

Effectivement, le dixième film de Michael Haneke soulève des questions qui dépassent souvent la simple analyse et qui sortent du cadre du visionnage. Narrant l’histoire d’un village allemand à la fois féodal et soumis à un certain obscurantisme religieux, « Le Ruban Blanc » traite avant tout de la rébellion d’une génération contre les codes. Il ne s’agit pas ici de s’attaquer à la génération précédente mais plutôt d’accomplir ce qu’elle n’a jamais eu les trippes ne serait-ce que d’envisager. Sous son ambiance glauquissime où chaque détail participe à créer une tension palpable, à instiguer un malaise que finalement rien ne justifie, le film essaye de faire suffoquer le spectateur pour bien qu’il comprenne le poids de la vie, le poids du temps et le contexte dans lequel ce pays est entré dans le monde contemporain.

Les interprétations sont multiples, et il est peu aisé de comprendre les tenants et les aboutissants de la rhétorique hanekienne. Quand le narrateur demande à Martin ce que ce dernier cherchait à faire et que le jeune garçon répond qu’il voulait donner une chance à Dieu de le tuer, et que s’il ne l’avait pas fait cela signifiait que Dieu cautionnait ses actes, on ne connait pas la portée des mots. Martin évoque-t-il le poids de la religion et le fait que son père transforme le moindre acte en péché contre Dieu ? Porte-t-il le poids de la culpabilité pour des sévices réalisés ? Ou bien la phrase est-elle à prendre de manière plus globale, faisant référence ainsi aux deux guerres et à la Shoah ? Si Dieu a laissé faire, c’est qu’il était d’accord. Voilà une limite que le film explore au travers de ces jolies têtes blondes qui un quart de siècle plus tard seront au cœur des armées de l’Allemagne Nazie.

Note : 8,5/10

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