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L’ECUME DES JOURS de Boris Vian

Par Matthieu Hybert, le 11-11-2009
Littérature et BD

Pourquoi décider d’écrire sur l’écume des jours, en ce dimanche plutôt gris, plus de cinq années après l’avoir lu pour la première fois ? Pour combler un vide ? Pour rendre hommage à un livre publié il y a soixante ans et qui ne cessera jamais de diviser le monde littéraire en deux catégories : ceux qui ont adoré et ceux qui n’ont pas eu cette chance ? Pour le bonheur de me replonger dans ces lignes qui n’en finiront jamais de me toucher ? Probablement les trois et pour bien d’autres raisons encore… Car l’écume des jours est bien plus que mon roman préféré, celui qui trône au sommet de mon panthéon littéraire ; l’écume des jours est à l’image de son titre, poétique et léger en même temps qu’énigmatique et fascinant ; l’écume des jours est un roman d’amour comme on en écrit plus, il n’est pas que « le plus poignant des romans d’amour » comme le disait Raymond Queneau, il est à mon sens le plus humain des romans d’amour…Colin n’est rien sans Chloé, elle est sa préoccupation suprême et superbe, celle à qui, face à ce nénuphar qui obstrue peu à peu son cœur, il consacrera toute son énergie, toute sa force, tout son amour sans jamais se résoudre à accepter l’inévitable. Et lorsque celle-ci s’en va définitivement, ce n’est pas son monde qui s’écroule, c’est LE monde qui disparait. Colin et Chloé sont des héros ordinaires dans un univers extraordinaire, et non l’inverse comme cela est si souvent le cas ! Ils n’ont ni le côté tragique de Chimène et de Rodrigue dans Le Cid, ni la dimension shakespearienne d’un amour défendu à la Roméo et Juliette et encore moins l’empreinte de la fatalité qui lie Tristan et Yseult. Colin et Chloé feraient davantage penser à Orphée et Eurydice, amoureux transis rattrapés par un sort qui s’acharne. Tel Orphée, Colin luttera jusqu’au bout pour celle qu’il aime ; tel le joueur de lyre, il ne se relèvera pas d’avoir perdu sa muse. Il a beau porter un prénom ridicule, on rêve tous un peu d’être un Colin, d’incarner pour nos « Chloé » cette posture du passionné romantique si éloignée pourtant de toute mièvrerie, et de pouvoir répondre comme lui à la question « Et vous, que faîtes vous dans la vie ? » : « Moi, j’apprends des choses et j’aime Chloé ». Apprendre et aimer, quelle belle ambition, quelle simple philosophie…
Mais l’écume des jours ce n’est pas qu’une déchirante histoire d’amour. C’est également un roman à l’imagination débridée où se mêlent le jazz et l’existentialisme sartrien, un conte fantastique où les pianos font des cocktails et où les souris parlent, un recueil de néologismes à en donner des sueurs froides à un membre de l’Académie française…Il est inutile de tenter de décortiquer tout l’univers de Boris Vian, si inaccessible même aux plus initiés, et il serait même contre-productif de le faire. On ne peut que se laisser bercer par la poésie des images, se laisser entrainer par les frasques de Chick ou de Colin, se laisser envouter par une ordinaire histoire d’amour de laquelle on ne peut se défaire bien des années après l’avoir lue… Alors oui, beaucoup n’aiment pas, pire s’il en est, certains demeurent indifférents, victimes souvent d’une lecture forcée au collège ou au lycée. C’est que, à mon sens, aucun livre ne s’est jamais aussi mal prêté à une lecture obligatoire et à une étude fastidieuse dans le cadre contraint d’une salle de classe. On ne peut « analyser » l’écume des jours comme on étudierait un poème de Rimbaud ou un roman de Flaubert. L’écume des jours oblige à voir au-delà des simples mots, à dépasser le texte et à lire avec un cœur d’enfant qui a déjà un peu vécu, et surtout aimé…

Vian était un proche d’Aragon et on ne peut s’empêcher à la lecture de l’écume des jours d’entendre résonner ces vers du poète : «Rien n’est jamais acquis à l’homme ni sa force / ni sa faiblesse, ni son cœur et quand il croit / ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix / et quand il croit serrer son bonheur il le broie / sa vie est un étrange et douloureux divorce / Il n’y a pas d’amours heureux (…)

Et pourtant c’est bien leur amour à tous les deux…

L’écume des jours restera à jamais ma plus belle aventure littéraire, Colin et Chloé ma plus belle histoire d’amour, et Chloé ma plus belle rencontre…

Note : 10/10