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RAMONA FALLS – Intuit

Par Benjamin Fogel, le 17-12-2009
Musique

De toute mon existence, quel est l’album qui m’a le plus poussé à réappuyer sur play encore et encore ? S’agit-il d’un classique incontestable (« Kid A » de Radiohead) ? D’une perle sombre qui aurait volé mon âme (« Boxer » de The National) ? De l’opus phare d’un groupe chéri (« Vitalogy » de Pearl Jam) ? D’une passion inavouable (l’éponyme de Korn) ? Non la vérité est bien différente. Vous auriez pu chercher des heures sans avoir le moindre soupçon. Il s’agit de « Friend and Foe » de Menomena ! Stupeur et interrogations ! Mais pourquoi cet album ? L’origine de la réponse est encore bien plus tordue que la réponse elle-même, et j’hésite à évoquer le point de peur de passer pour un dément…

Depuis que je suis acouphénique à un volume difficilement supportable, il a bien fallu trouver des dérivatifs pour empêcher mon cerveau de créer des boucles infinies sur cette ligne aigue, trouver des fréquences émises par les objets qui m’entourent, des fréquences sur lesquels se focaliser afin d’éviter de rester seul enfermer face à cette imposante machinerie industrielle que peut parfois être mon cerveau. C’est au cours de cette recherche d’un générateur de son optimal que j’ai réalisé que le vieux poste de ma première chambre d’étudiant produisait un étrange son lorsque sa lentille lisait avec attention « Friend and Foe » de Menomena. De l’accouplement de ces deux pièces découle quelque chose de bizarre, quelque chose qui lorsque le volume est à zéro laisse émettre un sifflement apaisant, un chevalier noir qui vient défendre mon sommeil. Toutes les nuits avant de m’endormir, toutes les nuits lorsque je me réveille, tous les matins où je veux prolonger mes rêves, le même réflexe, la même routine : appuyer sur play et me caler sur ces quelques décibels. Techniquement parlant Menomena occupera toujours la première place de ce classement alors qu’ironiquement je n’ai jamais dû écouter l’album plus de trois, quatre fois.

Aussi lorsque j’ai appris que Brent Knopf, une des têtes pensantes du groupe, se lançait dans une nouvelle aventure, j’ai immédiatement décidé de ne pas traiter l’information ; je n’aime pas mélanger les choses, pervertir les univers. La musique ne doit pas être corrompue par des pensées ou des associations négatives. Mais parfois, comme ce fut le cas récemment, avec « The Sound, The Speed, The Light » de Mission Of Burma, il faut savoir dépasser ses appréhensions, se livrer, prendre le temps, et faire le grand saut, quitte à être aidé, quitte à être poussé dans le vide par une force communautaire, par l’unanimité sociale.

Dès « Melectric », « Intuit » s’annonce comme la relecture d’un des chefs d’œuvre de l’année, à savoir le « Veckatimest » de Grizzly Bear, une relecture entre hommage et défi. Les codes de la weird folk sont retravaillés pour devenir plus accessible sans autant perdre de leur sinuosité (« Clover »). Les guitares rugissent sur « I Say Fever », Ramona Falls affirme sa volonté de ne pas complexifier inutilement les structures, sa volonté de rester accessible tout en étendant sa durée de vie.

Quand « Russia » laisse exploser ses soubresauts de puissance, ses micros hymnes de stades cachés au détour d’un pont, on sent bien où se logent les ambitions : tisser un lien d’acier entre musique indé et musique populaire, plaire au plus grand nombre non pas dans le sens commercial mais via une vocation unificatrice. L’exercice est un des plus risqués et donc un des plus nobles. On se souvient de British Sea Power, de son « Do you Like Rock Music ».

Les lumineuses montées de « Salt Sack » ne sombrent jamais dans la grandiloquence ; l’instinct de survie ne baisse jamais les bras face aux chants des sirènes. « Always Right » active la fanfare à grand renfort de choeurs, artifice au combien cliché au regard des productions actuelles qui s’impose pourtant ici naturellement via un refrain indélébile. Apaisé, heureux et ému d’avoir gagné une bataille où il n’était même pas considéré comme challenger, Ramona Falls conclut sur une ballade folk fédératrice comme du Clapton, poignante comme du Andrew Bird (« Diamond Shovel »).

A la fois évident et difficile d’accès, fourmillant de mélodies transverses qui ne se livrent pourtant qu’en fonction de l’humeur, Ramona Falls est à la croisée des mondes, un album qu’il faut à la fois chérir et craindre, peut être un nouveau compagnon pour mes nuits.

Note : 8,5/10

>> A lire également, la critique de Thibault sur la Quenelle Culturelle et la critique de Christophe sur La tête à Toto et à voir la très belle session de Rod sur Le Hiboo