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MOTHER de Joon-Ho Bong

Par Benjamin Fogel, le 05-02-2010
Cinéma et Séries

Le culte « Memories of Murder » développait une longue enquête criminelle au sein d’une petite ville de province avec en toile de fond un serial killer potentiellement imaginaire, le jouissif « The Host » reprenait une thématique de série B avec un monstre maritime en forme de progéniture des mutations chimiques, le charmant troisième épisode de « Tokyo ! », peut être plus personnel, traitait de la solitude et du repli sur soi. Enfin « Mother », le dernier film de Joon-Ho Bong, aborde l’histoire d’une femme qui se bat pour faire libérer son fils accusé de meurtre. Ces quatre films, qui n’ont en apparence rien à voir en commun, recyclent en réalité la même idée : comment imposer un traitement différent à des histoires dont le synopsis vu et revu tient en deux lignes ?

Le scénario de « Mother » a tout d’un script de téléfilm. Un peu de pathos, un peu d’action, un peu de policier, le tout orchestré autour d’un personnage féminin qui est prêt à aller jusqu’au bout pour trouver le vrai meurtrier et faire désinculper son fils. Il n’y a rien d’excitant là dedans. Comment Joon-Ho Bong va-t-il se dépêtrer de thèmes qui font soit référence à une décrépitude intellectuelle soit à sa propre filmographie (l’incompétence de la police) ? Clairement la réponse ne sera pas à chercher dans le déroulement de l’enquête. Tout y est banalisé, placé sur des rails, avec très peu de rebondissements. Le chemin de croix est scénaristiquement linéaire, Kim Hye-Ja enchainant les interrogatoires, les déconvenues, suivant une piste qui ne se targue même pas de nous surprendre avec un démentiel cliffhanger.

Non, l’enjeu pour Joon-Ho Bong est avant tout poétique, psychologique et social. Le canevas n’est comme toujours qu’un prétexte. Ici l’important n’est pas de savoir qui est le coupable mais de contempler cette mère qui détruit peu à peu toute barrière morale pour sauver son fils, et ce au détriment de la vérité. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Anéantir son statut social, s’aliéner, se séparer de tous ses biens, vendre son âme, détruire sa vie. Kim Hye-Ja ne fonctionne plus qu’à l’instinct, un instinct de survie qui passe par son fils.

Bourré d’instants de poésie, de plans qui prennent leur temps, d’émotions indicibles qui prennent pourtant aux trippes, « Mother » est surtout une incroyable galerie de personnages. Pas une galerie de personnage comme on l’entendrait chez les Frères Coen, mais plus un panel qui donne une profondeur incroyable et une aura particulière à la ville. Oui une fois de plus, il s’agit d’un film sur le milieu, un instantané de la Corée et de ses paradoxes. Sans jamais être mis au premier plan, sans jamais choquer le spectateur, sans jamais lui être imposé, l’analyse des mutations sociales du pays sont bien présentes. Ici les pauvres à la vie traditionnelle ne s’opposent jamais aux riches à la vie moderne, et pourtant « Mother » transpire de cette opposition propre au quatre dragons et surtout aux bébés tigres.

Joon-Ho Bong pourrait réaliser un film de science-fiction spatial qu’il arriverait quand même à vous parler de la culture coréenne et à vous dépayser non pas avec des images mais avec des attitudes. Une belle preuve que la force évocatrice d’un réalisateur peut se faufiler dans les moindres détails d’un film, tout en tournant le dos aux plus élémentaires composantes.

Note : 8/10

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