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Les trente glorieuses auront été une anomalie temporelle en dévoilant un monde où l’espoir de lendemains toujours meilleurs transcendait les peurs et les angoisses. Il en découla naturellement des années où la mort n’était plus cet ennemi qu’il faut combattre au quotidien, ce monstre angoissant qu’on ne doit jamais quitter des yeux. Cependant le monde se voilait la face, et il s’agissait plus d’un oubli collectif que d’une aisance par rapport au sujet : « A la libération, la révélation des images des camps fait perdre l’envie pendant 10 ans de toutes représentations morbide : pour l’avoir trop vue, nul ne veut plus voir la mort en face ». Alors que tout le monde craignait que la mort ne réapparaisse par la guerre, c’est par l’épidémie qu’elle revint hanter les hommes : le sida et la fin de l’innocence rappelaient aux hédonistes que tout a un prix. Christian Boltanski introduit les camps de concentration dans ses oeuvres et la mort redevint ce thème avec lequel il est impossible de ne pas composer.

Avec « C’est la vie », le musée Maillol expose les différentes facettes de la mort dans l’art au travers de centaines de crânes. Qu’on l’accepte, qu’on se joue d’elle, qu’on la déifie, qu’on la défie ou qu’on la mystifie, il s’agira à jamais d’une notion qui déroutera l’homme. De la même manière que « Crime et Châtiment » exposait la guillotine prouvant ainsi qu’elle faisait partie de l’histoire, on aurait aimé que « C’est la vie » soit là pour parler de la mort au passé, mais les cranes sont bel et bien un objet organique qui ne sera jamais génériquement un vestige. Du coup on ne peut vivre avec eux que dans une relation de crainte, d’appréhension et de détournements. Dans la première grande salle de l’exposition, un enfant de 5 ans est assis religieusement devant « La tête de mort II » de Niki de Saint-Phalle et, un carnet à la main, en dessine les contours sous les yeux bienveillants de sa mère, en laissant peser son regard curieux et hagard sur la masse blanche. On ne peut mieux résumer la position qu’occupe actuellement la mort dans nos sociétés.

« The Death of God » de Damien Hirst se matérialise dans son « Fear of Death » mais est relativisé par le « For Love of God ». La mort est un jeu macabre. Un enfant joue à la balle avec un crane humain et le film se répète à l’infini. La modernité transcende la mort en la faisant sienne, sans la banaliser mais en l’intégrant comme élément artistique, sans pour autant en faire un élément de provocation.

Ainsi avec ses 160 œuvres qui mélangent peintures, photographies, sculptures, objets, bijoux et vidéos, « C’est la vie » reconstitue le parcours de ce qui reste au final l’histoire d’une impuissance humaine face à la mort. On regrettera cependant son manque de structuration du discours et cette organisation chronologique qui évite la véritable réflexion thématique et qui n’apporte que peu d’axes d’analyses aux visiteurs admiratifs de la richesse des oeuvres mais frustrés par l’absence de clefs. D’autant plus que le chemin n’est pas lisse et qu’il faut intégrer dans la mise en perspective les aspects grotesques ou consuméristes qu’ont pu revêtir des cranes devenus instruments de mode comme les autres.

Mais malgré tout, le crane reste l’incarnation du « Final Nervous Breakdown » (Marc Quinn), quelque chose de justement particulièrement humain, comme si au fond il n’était qu’une allégorie créée de toute pièce par l’homme. Plus qu’un message de mort, le crane serait un symbole de vie. Non pas parce qu’il est une vanité qui nous ramènerait à la finitude et à la brièveté de la vie et à la nécessité d’en profiter au maximum mais parce qu’il serait le dénominateur commun de l’existence de chacun, celui qui nous rappelle que nous partageons le même combat, comme le démontre « Identité Nationale » de Raphaël Boccanfuso.

« C’est la vie » prouve que le sens de la mort n’apparait que via un prisme particulier (les tableaux dont l’image se forme dans le miroir cylindrique) et qu’elle est si ancrée dans la nature que l’homme ne pourra la dompter (les photos de crânes/fruits de Dimitri Tsykalov).

Notre rapport à la mort est ambigu et jamais figé, et en ça « C’est la vie » personnifie l’indomptable.

Note : 7,5/10