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De par ses innombrables tentatives ratées de se réinventer, Korn est un peu devenu un cas d’école : pas forcément un manuel à destination des groupes qui ne savent quelle orientation donner à leur carrière, mais plus un guide des pratiques à éviter. Il faut dire que depuis huit ans, Korn a testé pour vous tous les cas de figures possibles et inimaginables, chaque album pouvant être vu comme une nouvelle leçon. Oui des leçons ! Avec un titre synthétique qui explique de quoi va causer le chapitre ! Il faut dire que depuis « Issues » (rétrospectivement l’album le plus kornien dans ses qualités et ses défauts), la bande à Jonathan Davis se retrouve à chaque fois face à une cruelle question : comment faire mieux, différent ou pareil sans que cela ne se voit trop ? L’attitude est plutôt saine, et si le résultat escompté n’aura jamais été à la hauteur (et au niveau du son et en terme de mise en œuvre de la démarche), on peut reconnaitre au groupe l’envie d’essayer, ou du moins la capacité à essayer de le faire croire via des interviews fleuves.

Pour les groupes qui seraient perdus dans le marasme des possibilités musicales qui leur sont offertes, voici un court résumé de la théorie de Korn.

Leçon 1 – Devenir Untouchables : Faites la même chose qu’avant mais encore mieux ! Assurez-vous que plus personne ne vous arrive à la cheville ! Puisqu’il n’est pas question de compositions (on ne devient pas « intouchables » grâce à ses qualités d’écriture), il faut vous imposer par le mur du son ! Pour cela claquez toute votre thune dans le studio le plus cher de l’histoire de la musique, obtenez le son de guitare parfait en ayant recours à l’Euphonix R1 Digital Hard Disk Recorder et donnez à vos fans l’occasion d’investir dans un matériel Hi-Fi à la hauteur de votre grandeur. Risques encourus : Privilégier la mise en valeur du matos et oublier la hargne des débuts.

Leçon 2 – Take a Look in the Mirror : Renier l’album précédent, brulez votre studio, foutez le producteur à la porte et montrez que c’est encore vous qui décidez. L’objectif est de prouver au monde que vous êtes des superstars qui n’ont pas oublié d’où elles venaient. La punchline du moment sera « retour aux sources ». Ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit mais comme vous publiez à l’arrache un album enregistré en mode DIY, la pilule passera aisément. Risques encourus : Se retrouvez avec une production sans nuance et des chansons bâclées qui abusent de la formule intro-couplet-refrain-couplet-refrain-pont-refrain.

Leçon 3 – Donnez rendez-vous aux gens on the Other Side : Assumez votre côté putassier ! Omettez les années de tourmente et mettez en avant votre côté Alice Au Pays des Merveilles version Burton. Les singles doivent couler à flot, il faut que ce soit dansant et catchy. Pour se faire n’hésitez pas à faire preuve d’humour et à jouer de l’auto-dérision avec vos amis (Snoop Dogg, Xzibit, Lil’Jon, et David Banner qui caricaturent le groupe dans l’excellent clip Twisted Transistor). Risques encourus : Perdre les fans qui croyaient encore que vous étiez de vrais méchants.

Leçon 4 – Repartez à zéro en sortant un album sans nom : On oublie tout et on recommence ! Réinventez-vous ! Devenez un groupe d’indus ! Recrutez un claviériste ! Privilégiez les ambiances ! Targuez-vous d’être devenu un groupe expérimental !!! Risques encourus : S’aventurer sur un terrain qu’on maitrise mal pour finalement se raccrocher aux seules choses qu’on connait !

Leçon 5 – Reprendre l’histoire au dernier grand album que vous avez sorti afin de Remember Who You Are : L’idée est simple mais efficace. Vos deux premiers albums ont fait votre réputation, et après vous êtes parti en live ? Inventez un blackout temporel et sortez un disque qui reprend les choses là où vous les aviez arrêtées il y a 15 ans ! Recherchez au plus profond de vous-même la rage d’antant et exhumez vos meilleurs gimmicks du passé ! Risques encourus : Ca va commencer à se voir que ça fait cinq albums que vous faîtes n’importe quoi et que vous ne savez pas comment relancer votre carrière.

Voilà vous êtes prêts pour affronter le cap difficile du cinquième album ! Mais au fond, la vraie morale de ce guide n’est-elle pas « A force de crier au loup… » ? Il faut dire que lorsque Jonathan Davis parle de vrai retour aux sources (un vrai retour aux sources hein, rien à voir avec celui de « Take a Look in the Mirror » donc – sic – avec signature chez Roadrunner en plus), on ne peut s’empêcher de se rouler par terre. Parce que la vérité, et de là découle tout le côté tragi-comique de l’histoire, c’est que tous ces albums de Korn se ressemblent au plus haut point ! Peu importe la production, peu importe l’ajout d’éléments électroniques, peu importe les cris, le spectre émotionnel ne bouge pas d’un iota !

Du coup, je ne peux cacher mon affection pour cette bande qui le plus sérieusement du monde s’imagine à chaque fois avoir franchi une nouvelle étape dans sa recherche musicale. Car bien que parfois pathétique, Korn reste un vrai groupe avec des ambitions, avec un son caractéristique, avec une discographie. On peut en rire mais au fond, c’est un groupe « sérieux » qui se pose des questions sûrement bien plus sincères que ce que peuvent laisser supposer les moqueries. Certes, Jonathan Davis a passé l’age de porter des survets Adidas et Fieldy devrait arrêter de jouer dans Pirates des Caraïbes, mais ce « Korn III – Remember Who You Are » tient finalement ses promesses. Non pas qu’il s’agisse d’un grand album (personne ne croyait vraiment que l’essai de 2007 serait transformé) mais plutôt qu’il remplit son contrat : à savoir poursuivre une discographie cohérente (d’où le paradoxe des possibilités) riche en riffs puissants, en refrains pop et en basses slappées.

C’est d’ailleurs via la section rythmique que l’on plonge dans le disque. Renforcé par l’arrivée de Ray Luzier (dont le jeu de batterie était la seule chose à retenir de Army Of Anyone) et mise en avant par la production de Ross Robinson (définitivement le producteur qui colle le mieux à Korn), le duo basse/batterie soutient la majorité des titres (« Lead the Parade »). Il y a effectivement une certaine tension instrumentale : les guitares vintage usent judicieusement des échos et de la reverb, le fingerpicking cotoie les tirés, et la batterie a été enregistrée sans clic.

Du coup, si au premier abord, « Oildale (Leave Me Alone) » sonne comme un titre issu du très ennuyeux « Take a Look In The Mirror » (de loin le plus mauvais album
de Korn), via la force du riff et la martialité de la rythmique, le titre atteint un niveau de différenciation, d’abord discret puis de plus en plus évident. De même « Pop a Pill » désarçonne car entre deux refrains classiquement kornien, le tandem du fond rappelle que Primus est (a toujours été) une grosse influence. Dans ces conditions, le chant malicieux et vicieux de Jonathan Davis gagne en crédibilité. Sans malheureusement remettre en cause l’incorporation qui fut de plus en plus systématique des refrains chantés fédérateurs, des titres comme « Fear Is a Place to Live » s’avère vraiment instrumentalement stimulant.

Le souci, c’est que la où Deftones fait du surplace de qualité avec « Diamond Eyes », Korn n’arrive pas à éviter l’auto-parodie. Les refrains arrivent et partent toujours de la même façon, celui-ci rappelant tel titre, celui là rappelant tel autre. Par exemple, malgré une intro où le jeu de Ray Luzier rappelle tout d’abord celui de Abe Cunningham, « Move On » sombre dans la banalité en s’inspirant vainement du gimmick de « Ball Tongue ». Pas vraiment sûr que Jonathan Davis soit sûr de lui lorsqu’il crie Why dont you just leave me alone, my hearts feels free from the past.

Pourtant, bien plus que sur « Untilted » (même si celui-ci, de par sa complexité et sa variété, ouvrait donc vraiment de nouvelles portes), Korn prouve qu’il est un vrai groupe de metal avec un son difficilement reproductible et des riffs qui saignent (« Are You Ready to Live? » avec en bémol une fin insupportable). Au final dans ce style particulièrement codifié, aucun groupe ne sonne comme Korn. La frappe est lourde et les influences new wave toujours aussi présentes (« The Past »). Il est toujours plaisant de voir en lui une sorte de dance morbide terriblement accrocheuse, une version rock de Britney Spears, un truc qui fait sautiller les filles en boite via des titres groovy comme « Let the Guilt Go ». C’est peut-être ça la solution pour réussir à réécouter Korn : accepter son côté fun et divertissant, prendre ses chansons comme des pop-songs revigorantes et consommables dans l’instant.

Sans en faire, un nouvel étendard, il faut donc un peu réhabiliter Korn qui reste bien plus passionnant que tous ces petits camarades de la deuxième partie des nineties. Si « Korn III – Remember Who You Are » souffre des défauts inhérents au groupe, comme la voix trop forcée de Jonathan Davis, les structures qui n’ont jamais retrouvées la splendeur et surtout la désagréable impression que l’album est composé de trois bons titres et que tous les autres ne sont qu’une déclinaison de la formule de ceux-là, il continue de produire une musique à la fois rêche et très accessible. Ce n’est pas grand-chose mais il n’y a pas de quoi s’en offusquer. Bien qu’on regrettera que le groupe n’ait pas poursuivi dans la voie initiée précédemment et ait préféré revenir à une musique plus basique, on se dit que si ça se trouve, au rythme où va le monde, que dans vingt ans certains verront dans les plaines mortes de Bakersfield une certaine vision d’un metal violent et catchy, ou l’inverse.

Note : 6/10