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L’histoire est bien connue : les rêves adolescents se laissent peu à peu compromettre par la réalité du quotidien, on se dit pour se rassurer (et aussi parce qu’on est encore trop jeune pour ne plus y croire) que l’on consacrera coûte que coûte son temps libre à la création. Puis la fatigue s’avère plus importante que prévue, les membres ne suivent plus, la tête s’affale dans un cocon irréel. La coup de boost que permettait d’antan la bière de fin de journée, suffit à peine à conférer la motivation nécessaire pour réitérer l’opération. C’est cela que Viernes essaye encore de nier : ce quart de siècle qui vient de passer mais qui ne doit pas détruire la conciliation. Certains font du sport, certains se retrouvent hebdomadairement au night-club, chacun a ses habitudes, cette mini-routine qui permet de s’échapper au sein de la plus grande routine. Les floridiens Alberto Hernandez et Sean Moore eux font de la musique, comme ça une fois par semaine, le vendredi lorsque le corollaire du casual Friday leur permet de quitter le travail un peu plus tôt.

On pourrait penser qu’il n’y pas lieu de s’échapper de climats aussi bien viellant que celui de la Floride, mais au contraire c’est quand la chaleur du quotidien endort le plus les sens, que la dream pop se doit d’être la plus rugueuse. On sent chez Viernes la nécessité, l’obligation vitale comme si Robert Fripp venait injecter une bonne dose de psychédélisme dans le rêve (« Regressive Soul Pollution »). On imagine bien d’ailleurs le recours récurrent au Frippertronics.

D’un côté des nappes accueillantes, de l’autre des beats soutenus, au milieu une voix qui répète en boucle « Entire Empire ». On sent qu’il n’y a pas ici des heures et des heures de travail sur le songwriting et sur les structures mais le besoin de produire, le besoin de sortir des chansons même si elles doivent se passer de canevas ; un besoin essentiel au point de considérer la moindre démo (« Ancient Amazon / New Fashion ») comme un cri du cœur qui nécessite d’être publié tel quel. Il en résulte un certain paradoxe, l’impression que le groupe s’évade du quotidien sans calcul mais qu’en même temps le nuage sur lequel il flotte a été testé, contrôlé et certifié (« Honest Parade »). Entre une salve de shoegaze (« Sinister Love ») et l’attaque d’un piano soutenu par des cordes rappelant Field Music (« Faulty Investments »), Viernes reste légèrement plombé par la nécessité du remplissage, par ce travail quotidien qui empêche de se consacrer à la musique, et les titres ambiant acid comme « Liquid Tunnel » ne font pas tout à fait illusion.

Mais au final, grâce à une maîtrise des échos et des réverbérations et via une approche plus organique, Viernes fait penser à un Beach house plein d’aspérités. Imparfait et humain mais toujours ambitieux, « Sinister Devices » regarde son nuage s’enorgueillir de pluie et toiser le monde de sa légèreté pesante.

Note : 7/10

>> « Sinister Devices » est en écoute sur Spotify