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Lucinda
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Je l’aimais bien mon petit filleul. Avec son père, on avait fait les quatre-cents coups et on n’était pas peu fiers de le surprendre en train de jouer du rock dans la cave avec son pote. Ça nous rappelait notre jeunesse ; c’était sain de se défouler sur sa guitare et de triturer des machines. On savait qu’on devrait le regarder traverser les affres de l’adolescence sans trop pouvoir l’aider, et quitte à se résoudre à le voir prendre de la drogue, on se disait qu’il était profitable que la défonce serve à la création plutôt qu’à arpenter les rues. Oui c’était touchant cette idée que quelque chose reste de génération en génération. Et puis Wavves, c’était un chouette nom. Au même âge, son père et moi étions exactement dans la même situation et ça ne faisait que accentuer cette filiation qui faisait de moi un parrain plus que concerné. Pourtant, on aurait du se méfier quand il s’est mis à crier sur le petit Ryan Ulsh. Au lieu de ça, on a préféré n’y voir que des querelles d’enfants et mon ami n’a même pas répondu au téléphone lorsque les parents de ce dernier ont essayé de le joindre. Après tout, c’était de son âge de picoler outrageusement.

Au lycée il s’était mis à trainer avec deux gosses issus de la middle class, Billy Hayes et Stephen Pope, deux gentils punks californiens assez friqués (enfin disons plus que la moyenne). Il semblait assagi et buvait moins, et vu de loin c’était plutôt une raison de se réjouir. Autant le dire de suite, ce fut un véritable coup de massue lorsqu’il nous annonça qu’il comptait arrêter ses études pour se consacrer à la musique. C’était une chose noble de consacrer tout son temps libre à sa passion et d’y donner le meilleur de soi, c’en était une autre de s’imaginer artiste et de penser qu’on avait le talent nécessaire pour réussir là où tout le monde échouait. Mais bon que pouvions nous rétorquer ? Au final, du talent il en avait vraiment (un peu) à revendre.

Tout ça commença alors à prendre une tournure bien trop sérieuse, avec arrivage en force de gens du « milieu » comme Dennis Herring, un producteur qui avait bossé avec les Throwing Muses et qui connaissait donc la Kristin Hersh dont nous n’avions jamais cessé d’être amoureux. C’était du concret et l’idée qu’il puisse réussir là où nous avions échoué nous aveuglait. Malgré notre bienveillance ou à cause d’elle, en dehors des répétitions, les trois garçons devenaient de plus en plus oisifs. Ils fumaient des joints en glandant devant la télévision, se prélassaient au soleil au bord de grandes piscines, et arpentaient les rues en skate. La musique était devenu un truc qui permettait de patienter jusqu’à la sortie des planches de surf le week-end. Ils devenaient des héros de Brett Easton Ellis et ne disposaient pas du recul nécessaire pour essayer de changer le cap. La jeunesse a ce défaut qu’elle vous fait rapidement croire que vous êtes invincibles, que vous êtes le messie que le monde attend, que vous êtes là pour synthétiser ces deux dernières décennies.

Moins cynique que Snoop Dog, notre Nathan Williams se prenait plus facilement pour le King of the Beach que pour le King of the Bitch. Il mélangeait allègrement ironie infantile et vague à l’âme imaginaire. Il était punk, il faisait du surf, il était apolitique, il se foutait de tout, il était anarchiste, il aimait les guitares qui grondent et les passages catchy. Il était tout, il était rien, il voulait être des choses antagonistes, il y arrivait dans la forme mais pas dans le fond. Sous la fausse rage, on sentait bien sur « Super Soaker » qu’il ne faisait que geindre, qu’il essayait vainement de se rebeller. Etait-ce un appel à l’aide ? Et si oui à qui s’adressait-il ? A son père ? A moi ? A nous ? A eux ?

Combien auront-ils été avant lui à vouloir faire tourner des chansons sur trois accords ? Combien auront battis leur carrière sur cette alternance entre des intros/couplets grattés sur du nylon et des refrains qui laissent parler l’électricité pour mieux se revendiquer générationnels ? La vérité c’est qu’il n’y avait plus de générations, il n’y avait que des suiveurs qui essayaient de réitérer le miracle du doublé Nirvana/Pixies (« Linus Spacehead »). I’m stuck in the sky. I’m never coming down. I’m stuck in the ground. I’m never getting out. Oui telle est la tragédie de notre époque.

Le son était propre, bien présentable. C’était agréable et doucereux. La plage se matérialisait, le vent dispersait des grains de sable. Toute la planète indie rêvait de bikinis, même Stephen Malkmus ne pouvait résister. Vieux comme nouveaux étaient les bienvenus et sur « Mickey Mouse » c’était Panda Bear qui se faisait dignement représenter. Il y avait presque de la rédemption ici dans cette volonté d’offrir un produit fini, varié et goutu, qui faisait également office d’excuse pour les caprices du passé. Cependant vu de notre point de vue d’adulte, nous étions face à un gosse de 20 ans qui commençait ces phrases par quand j’étais jeune en parlant de l’année précédente. Mais le tout étant encore empli des joies qui sont de son âge, on finissait toujours par n’y voir rien de plus que la bonne blague d’un sale garnement qui nous refaisait plus le coup de Green Day que celui des Beach Boys modernes.

Nos femmes nous rassuraient, nous disaient qu’il fallait bien que jeunesse se fasse et qu’il était assez jeune pour rebondir ; et elles avaient probablement raison. Il faut dire que par certains moments, on avait envie de le suivre ce gamin. Chanter bêtement Oh Yeah Baby Say Goodbye n’avait plus rien d’idiot lorsque c’était fait en canon avec les irrésistibles mélodies d’un être si proche. Et puis finalement, Dieu sait que nous avions passé de bons moments à l’époque avec nos potes de Epitaph (« Post Acid »).

Un soir, alors que nous étions venus dîner chez ses parents, notre Nathan Williams jouait de la guitare sur le perron et chantait Green eyes, I’d run away with you / Green eyes, ’cause I’m a fool / I try staying away / I’m just not man enough et avec son aisance, sa légitimité de front, ce petit con m’a ému. Ce n’était pas grand-chose mais pendant un éclair de seconde, j’y ai vraiment cru. Alors je me suis approché de lui, et je lui ai raconté une histoire que son père et moi tenions secrète depuis toujours, une histoire que même sa mère ne connaissait pas, une histoire qui ne finit pas bien. Ca parlait d’un groupe qui s’appelait The Vines, un groupe qui ne voulait pas mélanger les Pixies et les Beach Boys mais qui se voyait comme le successeur de Nirvana et des Beatles. Ca parlait d’eux, ça parlait de nous, et de ceux dont il faut couver le talent si l’on veut qu’il débouche sur mieux que des hymnes consommables.

Note : 5,5/10

>> “King of the beach” est en écoute sur Spotify
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la critique de Thibault sur Hartzine