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Laure se souvenait de la fébrilité de sa voix lorsqu’elle l’avait appelée pour lui dire que c’était fait et lui demander de venir la chercher ; un moment d’équilibre ou les larmes étaient en suspension comme retenues par la fierté du courage dont elle venait de faire preuve. La voiture de Léa était arrivée quelques vingtaines de minutes plus tard, et pendant tout ce temps il était resté là à côté d’elle, sans dire un mot, à regarder les goûtes glisser de la toiture du perron. Elle savait qu’il cherchait juste à ne pas perdre la face, à se montrer digne (et d’une certaine manière elle lui en était vraiment reconnaissante) mais la manière dont il triturait nerveusement sa bague de mariage prouvait que la panique l’envahissait, qu’il était à deux doigts de craquer. Léa s’était garée sur le trottoir d’en face et n’était pas sortie de la trois portes. Elle ne souhaitait pas l’affronter, pas même croiser son regard ; dans un sens, sous sa prestance naturelle, elle était bien moins forte qu’elle.

Si dans un premier temps, Adil s’était montré conciliant (c’était définitivement un homme qui ne souhaitait pas vivre dans la rancœur et qui comprenait – sans forcément l’accepter – la complexité des sentiments humains) , le reste de leur groupe d’amis avait réagi avec une violence inouïe comme si c’était eux qui avaient été trahis (ce qui au font était peut-être également le cas) : Léa était la trainée qui avait planté un coup de poignard dans le dos de son meilleur ami tandis qu’elle, Laure, s’était mue en une fille calculatrice qui s’était toujours réfugiée sous sa naïveté pour mieux manipuler son entourage. Tout le monde serait contre eux, il n’y aurait ni compréhension, ni contre-argumentaire, juste une vision unilatérale de la vie où leurs « amis » trouveraient des dérivatifs pour nier le fait que la seule chose qui les dérangeait vraiment était qu’une femme mariée depuis huit ans puisse tout plaquer pour une autre femme ; non seulement cela faisait ressortir l’homophobie qu’ils avaient toujours caché sous leur grand discours sur l’ouverture, sur les mutations de la société, mais surtout cela les confrontait à une réalité qu’ils ne souhaitaient pas affronter : tout couple peut s’effondrer du jour au lendemain sous l’assaut d’une nouvelle passion.

Lorsqu’elles annoncèrent quelques semaines plus tard qu’elles souhaitaient se pacser et que Laure devait divorcer, ce fut la goute qui fit déborder le vase : la ligue qui s’était déjà dressée contre eux répondit à ce nouvel affront par un déversement d’insultes inappropriées, des insultes qui n’avaient même pas la courtoisie de dire en face et lisiblement qu’il en était fini de leurs relations d’amitié. Mais Laure et Léa s’en foutaient : elles avaient été honnêtes avec elles-mêmes et transparentes avec les autres ; elles n’avaient pas triché et en ça, elles étaient moralement intouchables, à mille lieux des quolibets de leurs ex-amis bien pensants.

Le dernier obstacle pour Laure était d’ordre familial ; si ses amis issus d’un milieu lettré et aisé l’avaient rejetée comme une mal propre, qu’en serait-il de ses parents qui n’étaient jamais sortis des sentiers battus ? Dans un premier temps, Laure leur annonça qu’elle divorçait de Adil, que ça ne fonctionnait plus, qu’elle n’était pas heureuse, ils écoutèrent et se turent ; dans un second temps, elle les invita à diner et leur présenta Léa, et la simple réaction qu’ils eurent fut un puissant relâchement de leur posture, un soulagement venu du plus profond de leur être : « nous sommes si contents que tu sois parties pour quelqu’un, nous avions tellement peur que tu sois malheureuse… »

Enfant ses parents étaient tout pour Laure : le centre névralgique de son monde, la seule chose qu’on se devait d’adorer, des Dieux issus de la non confrontation au monde. Puis la vie l’avait détournée des mythes, elle avait suivi sa route et s’était parfois perdue sans jamais retrouver son chemin. Mais aujourd’hui elle comprenait ; illuminée par ces rares moments de lucidité, elle réalisait que quoiqu’il advienne ses parents seraient toujours de jeunes Dieux.

Deux décennies plus tard, The Young Gods sont toujours là et nous rappellent que, si les groupes contemporains nous tueraient pour une plus grande notoriété, nos modèles eux ne nous abandonneront jamais.

20 ans après « Gasoline Man », « No Land’s Man » regorge toujours de cette fougue rock’n’roll qui a corrompu le fluide des machines. Et si l’on n’y retrouve pas les violons affolés de « L’eau rouge » et la chaleur des beats de « Second Nature », on sait que dans ce monde où la musique industrielle a subi les révolutions et les délocalisations, The Young Gods continue de faire tourner à l’ancienne les rotatives (« Tenter le Grillage »).

Depuis toujours, Franz Treichler possède une aptitude unique, le genre de capacité dont la rareté nous étonne, un diamant de platine qu’on pensait être produit industriellement et que l’on ne s’attendait pas à devoir traquer aux quatre coins de l’Europe : il est capable d’alterner, dans une seule et même chanson, le français et l’anglais sans que cela ne soit jamais inconvenant et risible (« Once Again »). Au contraire, il possède la sensibilité lui permettant de toujours utiliser la langue juste, de multiplier les caresses doucereuses puis de faire résonner les mantras. C’est un homme qui susurre en criant, qui ordonne sans jamais sortir de la compréhension (« Blooming »), un homme qui sait ce qui est bon pour nous, un parent de toujours.

Juste regarder aussi loin que j’espérais.

Note : 8/10