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ROVER – Rover

Par Benjamin Fogel, le 10-12-2010
Musique

Il était 20h30 passé, mais l’intensité du trafic n’avait pas diminué. La voiture ne progressait que lentement dans les rues trempées de Paris et les titres les plus entrainants du dernier None More Black contrastait avec cette sensation de surplace. L’étrange luminosité créée par les phares et leur reflet, le GPS qui paraissait capricieux alors qu’il était une fois de plus omniscient et les téléphones qui sonnaient alternativement commençaient à avoir raison de la fluidité de notre conversation. Nous serions probablement en retard ; c’était un mercredi d’octobre classique de ceux où on ne sait si la ville se veut dangereuse ou protectrice.

Adrien m’avait lâché devant le bar le temps de trouver une place dans cette capitale qui n’en a plus, et connaissant l’encombrement du quartier je craignais juste de ne plus le revoir. De son côté, Michael ne s’en sortait pas mieux que nous et je n’avais aucune raison de m’attarder dans le froid. Je pénétrai alors dans ce nouvel endroit dont le nom me déplaisait, mais dont la désinvolture et le fait que personne n’avait essayé d’y créer une ambiance en forme d’adjectifs éculés me rassurèrent de suite. Nous venions faire du repérage pour une soirée et nous n’aurions donc pas affronté la ville pour rien. La première salle était vide et – les sons provenant du sous-sol ne laissant aucun doute sur le centre de l’activité – je descendis, plus guidé par la nécessité de combler le temps que par un besoin compulsif de satisfaire ma curiosité. Plus j’avançais, plus j’entendais distinctement la batterie ; nul doute qu’un concert se déroulait, et mes soucis d’acouphènes m’empêchant toujours de trop fréquenter les décibels, j’hésitai à rebrousser chemin. Mais la chanson m’attirait et non seulement j’allai jusqu’au fond de la salle en longeant sur ma droite un deuxième comptoir, mais surtout j’eu le courage de rester quelques minutes face à la scène. La fausse était dense et seuls quelques mèches et cordes se distinguaient, mais la chanson me plaisait diaboliquement : il y avait en elle de cette folk apocalyptique qui me touche tant en ce moment. Heureusement (ou malheureusement), je regagnai rapidement mes esprits et m’extrayai de la pièce, avec la désagréable impression qu’une fois de plus mon handicap m’empêchait de découvrir ces centaines de groupes que seule la scène amène aux hommes.

Quelques minutes plus tard, je retrouvai mes compères et alors que nous étions venus pour boire des coups entre nous, nous réalisâmes que le bar grouillait de connaissances en tout genre venues justement soutenir le groupe en question. Et alors que l’histoire aurait du en rester là, laissant cette chanson inconnue d’un groupe inconnu s’ajouter à la longue liste des rencontres loupées, je croisai Victor (que j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer lors d’un concert à emporter de Pollux From Rio) qui se trouvait justement en possession de l’EP en question. Tout cela pourrait paraitre anecdotique, mais passer de la frustration à la possession du disque possède le caractère de ces hasards qui aussi futiles soient-ils me marquent toujours.

De retour chez moi, j’ai immédiatement écouté ces cinq titres et comme souvent dans ces cas là, je n’y ai nullement retrouvé « l’instant » que j’avais vécu quelques heures plus tôt, mais en lieu et place de Current 93 il y avait bien une vraie conviction pop dérangeante.

Basse sérieuse et sombre, batterie simple mais engageante, le premier vrai contact avec Rover se fait néanmoins par la voix de Timothée Régnier, un premier contact vocal émouvant où le timbre ne manque pas d’assurance, ne se laisse pas plomber par un accent bancal et dont les harmoniques ne s’enlisent pas dans une reproduction clichesque de celles des ainés anglophones (« Monologue for Two »). Les mélodies de « Aqualast », d’abord ciselées, classieuses et imprévues, débouchent au contraire sur une pop anglaise connue et touchante comme la pratique Syd Matters. Il y a ici, un peu comme chez Viol, une manière de prendre à revers l’auditeur en introduisant une facilité pop dans des contours exigeants et suscitant la curiosité. On sent dans la construction des titres la sobriété discrète chère à Menomena (« Anywhere From Now »).

Bien sûr il s’agit encore de démos imparfaites aux défauts notables (chant maniéré, arrangements en deçà), de cinq titres probablement enregistrés dans une cave et mixés avec les moyens du bord, mais justement, la qualité brute et non encadrée laisse le meilleur espoir sur le développement possible.

>> Deux titres en écoute sur la B.O. du film « A New-York Thing » sur Spotify