Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

Lorsque Alain Bashung nous a quittés, il n’y avait pas grand-chose à dire, pas grand-chose à partager, juste une tristesse amère à intégrer une fois de plus. Dans ces moments de deuil musical les mots ne sont d’aucun réconfort et les hommages ne sont qu’autant de coups de poignards adressés au cœur encore saignant ; comme disait Ulrich à la mort d’Alex Chilton : « Il faut dire que je ne supporte pas les nécrologies, ces papiers de la mort, antre mortifère de l’écriture journalistique par excellence. Ça me fait chier de lire une pseudo-analyse de la discographie avec le coeur en bandoulière, dans un style journalistique pré-formaté, mû par une sensibilité de caniveau ». Pourtant une dizaine de jours après, je me souviens être tombé par hasard sur le texte de David Sanson sur son blog (qui n’est manifestement plus actif) et y avoir trouvé une forme d’apaisement ; cela ne tenait pas à grand-chose, peut-être juste à l’honnêteté qui s’en dégageait. Je ne sais plus pourquoi (probablement parce qu’il y citait David Sylvian) mais un passage m’avait particulièrement marqué : « Car Alain Bashung, bien avant l’ère de l’échange de fichiers informatiques et des collaborations virtuellement infinies offertes par la révolution numérique, était passé maître dans l’art de s’entourer. Avec bien davantage d’à-propos (mais sans doute moins de génie mélodique) qu’un Gainsbourg par exemple, à la manière plutôt d’un David Sylvian ou d’une Björk, il a cherché auprès de frères d’aventure des façons d’étendre son univers musical, de lui faire prendre des voies nouvelles, autrement moins balisés que celles de ce rock’n’roll des fifties/sixties dont il est issu. La liste des instrumentistes ayant collaboré avec lui est impressionnante, des guitaristes Michael Brook ou Arto Lindsay à, donc, Colin Newman, Dave Ball et même Blixa Bargeld (Einstürzende Neubauten), tous trois crédités au générique de Novice. Il semble qu’avec tous ces artistes, la collaboration se soit faite le plus souvent à distance, et dans un sens : chacun d’entre eux proposait des arrangements, des idées, des gimmicks inspirés par les bribes de chansons transmises Bashung qui, ensuite, se livrait à un véritable travail de compositeur, assemblant celles qui, parmi toutes ces pistes, lui semblaient les plus intéressantes ».

A l’écoute de « Near Miss » et de la mise en perspective complète de la discographie de That Summer, cet article résonne étrangement tant rien ne s’applique mieux à David Sanson que la description qu’il fait d’un autre. Effectivement sa plus grande force est bien de savoir choisir ses collaborateurs (et ses collaborations). De Malcolm Eden de McCarthy au batteur Jean-Michel Pirès, du réalisateur Rodolphe Bertrand au plasticien Saâdane Afif, de Alain Frappier de Baroque Bordello en passant surtout par Sylvain Chauveau, l’ensemble de son histoire musicale est jonchée de noms, de rencontres, de coups de main, de discussions et de conseils qui ont nourri les chansons, qui les ont transformé. Ainsi rien de plus normal que That Summer revienne enfin sous la forme d’un vrai groupe (avec Nikolu Jorio, Etienne Bonhomme et Olivier Cavaillé) constitué en partie suite à la tournée post « Clear », sous la forme d’une entité complexe où les morceaux sont issus d’une longue gestation où chacun vint apporter sa petite pierre à l’édifice.

Soutenues à plusieurs, les chansons de David Sanson peuvent enfin greffer à leur noirceur dark-folk, la rugosité du post-punk et les distorsions noise de Sonic Youth (« April Skies »). On sent une tension physique qui n’avait été ici que mentale et le besoin de se rattacher aux univers qui ont toujours été des influences sans avoir pu être exprimés pleinement. Cure (avec une reprise un brin lisse de « All Cats Are Grey »), Joy Division ou encore The Fall, les inspirations ont beau être classiques, elles n’en débordent pas moins de sincérité (« The Hues Of You ») et de refrains fédérateurs (« The Angelhood »). Les chansons étant liées par des interludes en forme de trait d’union, « Near Miss » se déroule comme une pièce unique, cohérente et uniforme où les écarts ne sont pas des déceptions mais des respirations, une pièce unique qui s’intègre encore dans un plus grand ensemble et qui répond aux précédents disques (« Chapel 16 » est ainsi une nouvelle version du Stratégies de l’inquiétude de l’EP « Nine Shrunken Pieces » qui souligne mieux l’influence décisive de Tony Wakeford de Sol Invictus).

Mais le vrai point d’entrée dans « Near Miss » est incontestablement « Obviously », une pièce maitresse chantée par Sylvain Chauveau qui rappellera une fois de plus David Sylvian et qui prolongera leur premier échange de « Handling With Care ». Chauveau y accentue les mots d’une manière si touchante, si profonde que l’on peut craquer à chaque instant. Peut-être une des plus belles chansons de l’année sur un album qui malgré son manque de persistance dans la bouche, restera une nouvelle étape d’une discographie sans faille.

Note : 7/10

>> Quelques titres en écoute sur MySpace
>> A lire également,
la chronique de Benoit sur Pop Revue Express et la chronique de Voisin Blogueur sur Tadah !