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AGORIA – Impermanence

Par Benjamin Fogel, le 14-03-2011
Musique

En 2006, lorsque Sébastien Devaud crée Infiné avec Alexandre Cazac et Yannick Matray, on imagine voir clair dans son jeu : « The Green Armchair » fraichement publié le sort de sa bulle et lui ouvre les portes du monde électronique dans le sens le plus large du terme, tandis que la création des Nuits Sonores lui confère la légitimité pour régner sur la France. On s’imagine alors que son propre label sera le bastion destiné à propulser ses créations et à faire de Agoria le digne successeur de Laurent Garnier. On était bien loin du compte…

Non seulement il faudra attendre cinq ans pour que Infiné dévoile « Impermanence » le troisième album (« Go Fast » exclu) de son fondateur, mais surtout la structure aura démontré que ses ambitions étaient tout autre et complètement indépendante de velléités artistiques personnelles. Non Infiné n’est pas une machine destinée à s’auto-promouvoir, mais bien un vivier infini de ressources électroniques capables de recharger les batteries et d’assurer la relève (Rone, Aufgang, Danton Eeprom et surtout le brillant Arandel). A ce stade là, on imagine même que la richesse de son propre catalogue a du donner des sueurs froides au maître qui d’un air perplexe devait constater combien les élèves avaient su se déployer au-delà des espérances.

Pourtant, nulle pression, nulle crainte de ne pas être à la hauteur, entourent la conception de « Impermanence » : les cuivres de « Under The River » apaisent et soulignent le regard posé et serein que Sébastien Devaud porte sur tout ce qu’il a accompli. On sent l’intuition, la simplicité du premier jet, les boucles qui trouvent tout de suite leur place et qu’il suffit alors de laisser vivre (« Grande Torino »). Plus ambitieux que lors de la réalisation de ses mix (aussi bon soit le volume 16 de la série Balance, il passe néanmoins comme toujours pour une récréation), Agoria s’autorise même une entrée en matière dénuée de beats où la voix de la jeune Kid A conte des histoires folkeuses sur des notes de piano égrenées (« Kiss My Soul »).

Eminemment dancefloor et electronica dans sa construction, « Souless Dreamer » porte en lui un désenchantement propre à ces soirées dont nous voudrions nous échapper, mais qui nous emprisonnent. Seth Troxler souffre, il suffoque. Si l’electro-house irradie toujours l’air ambiant, Agoria souligne combien elle peut aussi être un carcan qui condamne les jeunes berlinois à une répétition hypnotique qui fait le bonheur des auditeurs, mais ne procure plus la joie d’antan au créateur. La plongée dans la noirceur électronique débute et on se laisse aspirer par les promesses de l’ombre de « Panta Rei » ; « Panta Rei » un nom qu’aurait pu porter un temple de l’empire khmer, celui d’un édifice bouddhique perdu au milieu d’une jungle moite et chatoyante. On pénètre dans les terres avec sensualité, guidé à travers les feuillages par des boucles qui ne tournent jamais en rond (« Libellules »).

Mais alors qu’on se sentait si bien dans cette la moiteur, alors qu’on respirait la sensualité par les pores, on s’enfonce malheureusement trop loin dans ces terres inconnues et la pornographie vulgaire remplace peu à peu les caresses d’hier. Sur « Speechless », Carl Craig passe pour un vieux lubrique peu respectueux de la pureté du travail de Sébastien Devaud : il susurre « You are so sexy, i just want to taste your lips » et le gout de la sueur devient néfaste et répugnant. Anicroche ? Mauvaise communication ? Les amitiés doivent aussi se construire sur les désaccords.

Les violons ne sont plus ivres. Il n’y aura nulle gueule de bois, nul mal au crâne, juste les vapeurs apaisantes d’une nuit passée ailleurs.

>> A lire également, la critique de Laurent sur Esprits Critiques, la critique de JS sur Good Karma, la critique de Violette sur Jamais d’accord