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BOXING GYM de Frederick Wiseman

Sorti le 9 mars 2011 - durée : 1h31min.

Par Julien Lafond-Laumond, le 24-03-2011
Cinéma et Séries

Le b-a ba du film de boxe : la dimension sociale et le destin individuel. Comment la boxe extirpe d’une certaine classe, d’une certaine promesse populaire. Très peu de scénarios s’éloignent de ce giron et l’on demeure le plus souvent dans une haute idée du classicisme : on part de peu de chose, on bosse, on s’entraîne dur, très dur, les combats peuvent vaciller d’un côté ou de l’autre mais la victoire finale vient cristalliser le changement et annoncer le triomphe. Fighter, à ce titre, est un film d’école : malicieux et satirique sur des saynètes hystérisantes et pourtant terriblement sérieux et respectueux sur le fond ; toute la galère sociale, toute la misère toxicomane et la problématique d’une famille cannibale ne sont au programme et au travail que pour une célébration finale et totale : derrière nous sont la drogue, l’asymétrie des relations, l’anonymat – le succès terminal, le titre de champion du monde cicatrice tous les maux. On ne trouve guère dans le cinéma récent que Rocky Balboa qui venait questionner ce parangon. L’apothéose du dernier combat y était, cette gloire transcendantale, mais elle se fondait sur une défaite. Ce n’était alors plus la victoire qui justifiait et embellissait le travail fourni, c’est le chemin pour lui-même qui était sacralisé, l’effort consenti qu’on y associait.

Dans le cinéma de boxe, ainsi, l’entraînement occupe une place privilégiée, mais comme préparation, occasion d’être meilleur en vue de battre ses adversaires. Les séquences d’entraînement sont laborieuses et le sont parce qu’elles contrastent avec le ring et les derniers round du film. Reconnaissons à Fighter d’avoir été plus subtil sur certaines séquences, où Mark Wahlberg danse littéralement, gants aux poings, sur ses chansons préférées, ou quand il s’exerce avec son frère, retrouvant ici une sorte de connexion pure qui abolit les tensions. Ces quelques grammes de polysémie renvoient directement à un autre film en salle au même moment, Boxing Gym, trente-sixième documentaire de Frederick Wiseman où la salle d’entraînement et le point de départ et d’arrivée du boxeur.

« On est pas ici pour frapper les gens et personne ne te frappera ».

Richard Lord (ancien pro reconverti directeur de petite salle rurale) annonce la couleur. Dans son antre, pas de relation duelle, personne ne concurrence personne même dans sa tête. Il s’agit d’entraînement. On s’entraîne avec les autres pour soi-même. Seul son propre rapport à la boxe compte, la boxe comme art disent certains, comme hygiène et comme éthique dirons-nous plus volontiers. Il ne s’agit pas d’autre chose que d’atteindre et maintenir une homéostasie, un équilibre des énergies physiques et mentales, une plénitude en quelque sorte. À un ado qui veut s’inscrire pour apprendre à se battre, Lord lui répond ainsi que « les gens ici évitent la bagarre pour ne pas se faire mal aux mains… pour ne pas gâcher leur entraînement ». Les effets de la boxe ? Pas de pouvoir gagner, dominer qui que ce soit, non, cela permet juste d’être bien. « Si le physique est bon, le mental repart ».

Au Lord’s Gym on trouve des vieux, des femmes qui s’entraînent aux côtés de leur bébé, des boxeurs doués en quête de performance, tous les âges et toutes les origines ethniques réunies ; un melting pot en action dont Wiseman ne fait rien car son sujet est ailleurs : ce qui l’intéresse est la boxe comme processus d’amélioration et d’embellissement personnel. Un latino explique à un moment qu’il adore danser, qu’il aime une danse lointaine que son interlocuteur ne connaît pas. Pas de rire, pas de raillerie, phallus en pause, la danse c’est comme la boxe, ça se pratique dans « les règles de l’art ». Et à chacun, individuellement, de trouver confort dans l’effort.

Dans cette salle on s’entraîne beaucoup, les exercices sont répétitifs (montage hypnotique) et il n’est question que de rythme, de cadence, de trajectoire physique et de mouvement structuré. Pendant les temps de repos on discute du monde extérieur. La violence, l’insécurité, les drames. On en parle comme d’un pays lointain car la salle fait rupture, havre de paix, chacun est là pour se laver des souillures du monde et s’épanouir dans la méthode. Boxing Gym se conclut sur un combat d’entraînement. Deux personnes s’affrontent ; pas de vainqueur, pas d’applaudissement, les boxeurs autour du ring regardent silencieusement, scrutent le positionnement des jambes et des gants. C’est un exercice de combattre comme de soutenir, soutenir non pas l’égo des athlètes mais leur démarche de perfection, leur acharnement à la minutie ; apprendre à la vue des autres, pour soi-même et dans le respect de la technique.

Note : 8/10