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GEN D’HIROSHIMA de Keiji Nakazawa

Série comprenant 10 tomes

Par Alexis Fogel, le 02-03-2011
Littérature et BD

Hiroshima, 1945. Le Japon affaibli ne capitule pas et continue à se battre contre les américains. Peu importe que ceux-ci soient mieux équipés, qu’ils gagnent du terrain de jour en jour, l’armée japonaise s’attache à sa fierté et à son honneur. S’en suit pour la population, l’embrigadement, le rationnement, la peur, l’attente, les quelques moments de joie car la vie continue, l’espoir d’une fin proche, la fin de l’hiver, la fin du printemps et finalement la bombe.

Gen est issu d’une famille pauvre, pacifiste, courageuse et terriblement humaine. C’est par ses yeux et en se fondant sur son vécu que Keiji Nakazawa décrit l’avant, le pendant et l’après 6 août 1945. Durant dix tomes, l’auteur de Gen d’Hiroshima montre non seulement les séquelles de la bombe mais également la réaction de la société japonaise, son incompréhension et son désemparement. Avec un fil conducteur plus ou moins adroit, Gen découvre un monde où chaque individu est marqué à jamais par les conséquences de la bombe. Beaucoup sont mourants, défigurés ou handicapés à jamais, d’autres ont perdu toute leur famille et se trouvent seuls et sans ressource. Pire peut-être encore, certains sont rejetés par leur proches épargnés par la bombe qui craignent la contagion. Ne comprenant pas les maladies dont souffraient ceux qui avaient été touchés par les radiations, la peur ouvre la voie à l’indifférence ainsi qu’à la haine. Il découvre également devant ses yeux un Japon changé, traumatisé par la défaite et sans compassion pour les victimes de la bombe qui l’incarne. Enfin, il constate que même dans une ville détruite où les ossements et les victimes de la bombe ne peuvent être ignorés, l’effort de mémoire est difficile, les vainqueurs contrôlant la diffusion de l’information, les victimes étant trop occupées à survivre, et les instances dirigeantes soumises à l’occupation souhaitant effacer cette tache de l’histoire (1).

L’auteur, terrorisé par la violence qu’il dessine cherche à atténuer la responsabilité des personnages qu’il met en scène en montrant du doigt les coupables de cette situation. Il accuse alors à tour de rôle l’empereur, l’armée et les autorités japonaises, les américains et bien sûr la bombe elle même, cette bombe qui a soufflé l’humanité des japonais, et laissé à vif leur instinct de survie. Tenter de comprendre mais ne pas juger, qui sait quel rôle j’aurais tenu sur cette scène infernale.

Car il s’agit bien de cela. On a beau se dire que l’époque est différente, que le Japon est incomparable au monde occidental, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de culpabilité. Puis-je me jurer que j’aurais travaillé dans l’intérêt commun avant d’avoir mis le peu de proche qu’il me restait a l’abris de besoin ? Et même si je l’avais fait, n’éprouverais-je pas non plus des remords ? L’auteur ne cherche finalement peut être pas des excuses mais un moyen de rappeler que tout n’est pas blanc ou noir et que certaines actions doivent être remises dans leur contexte avant jugement. Trop souvent nous n’avons que des brides d’information pour forger notre opinion.

Mais revenons à l’oeuvre elle-même. Le format de manga joue un rôle important dans la protection du lecteur. Certaines scènes du quotidien sont anormalement violentes (des enfants l’on voit s’écraser dans un mur après avoir été frappés), comme pour faire croire que peut-être les dessins des malades sont aussi décalés de la réalité. Mais l’on ne reste pas dupe longtemps, et la différence est vite faite entre style et description de la réalité. C’est d’ailleurs sur ce décalage entre la réalité et la fiction que l’oeuvre peut pécher. Prenons une bande dessinée comme Maus : le personnage principal, si il est une victime, n’en est pas moins un homme avec ses défauts. Ici en revanche, Gen est un personnage, sensible, compréhensif, généreux et il est bien rare dans la bande dessinée qu’il soit l’auteur d’une mauvaise action. Je ne dis pas qu’un tel personnage ne puisse pas exister, mais ce manque de “défauts humains” du personnage principal nuit à l’immersion total dans le récit, le lecteur gardant toujours une certaine réserve par rapport à celui-ci.

En tout cas le message de l’auteur est clair : malgré la souffrance quotidienne de ceux qui n’ont plus rien, malgré les « maladies de la bombe » qui continuent à tuer plusieurs années après l’explosion, malgré les yakuzas, malgré le marché noir et les opportunistes, ces dix tomes sont soutenus par un message d’espoir d’un lendemain meilleur. Le père de Gen lui disait : « soit comme le blé, il repousse et il est fort même si il se fait piétiner ».

Hiroshima, qui aujourd’hui n’a rien à envier aux autres villes du Japon en est peut-être la meilleure preuve.

Note : 8/10

(1) : La situation à cet égard a beaucoup changé depuis. le Japon s’affiche « officiellement » comme un pays pacifiste et anti-nucléaire et le mémorial d’Hiroshima décrit en détail et de façon poignante les horreurs de la bombe.