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Jérôme Chassagnard est, ainsi que son comparse Régis Baillet, membre de l’illustre duo Ab Ovo. Depuis Mouvements, paru chez Ant-Zen en 2007, et leur collaboration avec Mekaprods, les deux Français ont choisi de laisser libre court temporairement à leurs pérégrinations personnelles. L’année dernière, pendant que Chassagnard livrait son atypique et passionnant side project The Prayer Tree (ici), Baillet publiait le superbe Samdhya en tant que Diaphane (ici). On peut donc dire que la créativité et la magie de chacun n’est en aucun cas dépendante de celle de l’autre. C’est forcément avec une très forte excitation que mes oreilles se posent sur The Time From Underneath, paru chez Hymen il y a juste quelques jours.

Avant de plonger dans les mondes imaginaires et futuristes dépeints par le Français, un bain rituel et initiatique s’avère nécessaire. Il faut d’abord commencer par (re)lire 1984 de Orwell, Ubik de Philip K. Dick, (re)visionner Bienvenue à Gattaca et Blade Runner puis suivre le lapin blanc. Là, dans une pièce morne et sinistre où des gouttes d’un liquide frelaté et non identifié suintent de murs aux teintes verdâtres Scorsesiennes, des vestales vêtues de vinyle badigeonnent d’une sorte de mazout conducteur le corps du candidat. La connexion et le convecteur temporel font leur travail. Nous voilà débarqués dans une mégalopole en plein chaos, où la fracture sociale forme désormais un canyon et où la dose d’air pur se vend sous le manteau. Les corps et les esprits des natifs semblent lobotomisés, toujours un peu plus enfoncés dans la quête d’un virtuel salvateur. Ceux qui résistent au diktat survivent dans des tabernacles souterrains, attendant le grand soir comme l’insomniaque guette l’aurore. La nourriture, la religion, la psychanalyse, les plaisirs de bouche et le cul sont bannis. Tout le monde est contraint d’absorber la pilule unique, celle qui trace La voie à une population ayant perdu tous repères et que les rebelles des bas-fonds ont baptisé la camisole de l’émotion. La lubie du moment est la spéculation aéro-spatiale. C’est dire si on vit une époque pleine de passion. Voici la trame de ce film sci-fi dont l’auditeur est contraint à être le héros parmi les rebus de cette néo-société. L’atmosphère est à la fois haletante et hypnotique. On a souvent l’impression d’être une bête traquée, fuyant aux bras d’une amazone digitale nommée Veta les assauts des agents Wesson, officiers de la répression d’un vice représenté par la sensation et la pensée. Parce que notre héros n’est finalement qu’un pauvre geek pas très glamour et qu’il est terrassé par cette vision d’un futur qu’il a depuis toujours idéalisé, à partir de Space Boat est illustrée sa fuite et celle de sa nouvelle dulcinée à bord d’un vaisseau spatial vers des astres lointains, où la nature et l’espoir possèdent encore quelques droits.

On est presque surpris d’être autant absorbé par un album d’IDM mêlé d’ambient finalement assez classique, ou même old-school dans sa conception downtempo et de par le matériel utilisé. C’est là que réside le vrai tour de force de Chassagnard : réaliser une oeuvre dépourvue de velléités  techniques pour stimuler l’imaginaire à coup de nappes hypnotiques et de pulsations lumineuses. Futuriste oui… mais comme au bon vieux temps. La phrase énoncée en français au début du Until Heaven Comes de clôture amènera peut-être les curieux à comprendre d’où tout cela est tiré, et donc peut-être de démolir légitimement la manière dont j’ai vécu ce voyage temporel très synthétique. Un seul mini regret vient à mon esprit d’éternel aigri : même si j’ai un profond et indéfectible respect pour Salt et ses artworks, je me dis qu’un certain shift. aurait pu produire quelque chose de plus adapté et plus équivoque. Je me permets aussi pour conclure de m’appuyer sur les mots d’un autre, ces derniers étant forcément plus évocateurs et plus stimulants pour l’auditeur potentiel que les miens.

“Grands phares du Ciel, les pulsars vont guider notre navigation musicale. Ecoutons ces horloges cosmiques égréner leurs secondes. Nous avons rendez-vous avec les gardiennes du temps (les bombasses en vinyle). Ouvrons la fenêtre et attendons l’heure juste.”

Note : 7,5/10