Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage
Lorsqu’on écrit une chanson sur l’alcool, on ne réfléchit guère aux conséquences logiques d’un tel acte. Inconsciemment, on sait qu’un jour, on finira dans une anthologie sur le sujet ou pire, dans une de ces compilations aux couleurs criardes avec son gros sticker “vu à la télé”. La honte collera à la manche de votre guitare et vous la boirez jusqu’à la lie. Ces affres de la souffrance post-éthylique pourrait vous être épargnés : pour cela, il vous suffit de sortir LA chanson d’alcoolique mal dégrossi, d’entrer dans l’histoire de la booze avec un grand B, un b qui claque au vent, un b qui sent la fierté et la… bière.

Penchons-nous par exemple sur le cas d’une des très grandes chansons de défonce totale qu’est le “Born Slipply” d’Underworld qui s’est transformé au fil des années en un titre très “lager lager lager lager” ce qui, dans certaines circonstances, peut s’avérer cocasse. Lorsqu’on parle d’alcool, on le fait sérieusement, il ne s’agit plus d’aimer son prochain mais de boire et de boire  si possible à s’en faire mal.

C’est ce que dit en substance, l’air goguenard, Jim Morrison lorsqu’il transforme l’hymne brechtien Alabama Song en chanson chamanique “show me the way  to the next whisky bar”. Emportons-nous dans l’ivresse de la nuit, asseyons-nous au bar et écoutons les histoires de ces buveurs d’outre-tombe. Boire à avoir mal, boire pour étancher une tristesse profonde, une haine dévastatrice : “I don’t care man I been drunk forever” chante Jamie T sur Calm Down Dearest et nous voilà plonger, parfois à nos corps défendants, dans des histoires terribles, de brisures inextinguibles, de blessures béantes sur lesquelles on verse l’alcool, pensant anesthésier un court instant notre mal-être, trop intense à évacuer par les pleurs.

Et puis il y a cette fichue pression, la sociale, la place que l’on doit tenir coûte que coûte dans la société, faire bonne figure à tout prix : “un verre s’il vous plaît”, “encore un s’il vous plaît” “oui je suis le prochain promu”, ‘je fête ça !” and “it turned him to the booze” chante ironiquement Ray Davies sur Alcohol. Le regard que jettent Gil Scott-Heron et Brian Jackson avec The Bottle  est plus doux, plus compatissant. Tout en dénonçant les ravages de l’alcool, les deux hommes narrent les histoires tristes des victimes presque malgré elles de ce breuvage maléfique.

Pause.

Il est temps de boire là non ? Une chanson à boire, s’il vous plaît. Ne planque pas tes verres ainsi, mon gars ! Tom Waits chante une histoire. Une chanson triste qu’on peut reprendre en choeur, à gorges déployées, tout en continuant à boire… Tom Trauber n’a d’yeux que pour Mathilda mais son récit tourne au vinaigre “An old shirt that is stained with blood and whiskey”. Une histoire de marin. Encore. Toujours, en fait. Même sous nos dehors d’êtres civilisés, on est toujours friand des histoires des autres, les plus tristes, si possible. Je peux vous en raconter, beaucoup, mais d’abord “One for my baby (and one more for the road)” et on pourra siffloter cet air avec Frank Sinatra jusqu’au bout de la nuit. Un bon whiskey, un bon cigare et je vous raconte l’histoire de la bière selon Jacques Brel, celle qui sent de Londres à Berlin, celle qui vous parfume d’une lampée ou d’un bain forcé. Avez-vous déjà senti Bière n°5 de Chanel ou Bière Sauvage de Dior ? Essayez, ça changera votre vie ou le regard des autres sur vous.

A moins que vous n’aimiez les histoires mouvementées du bout de la nuit à Amsterdam avec le Too Much Brandy des Streets. Tu veux de la coke petit ? Des champignons ? Non, je n’en veux pas merci. On se retourne naturellement vers celle avec qui on se sent bien, “I need a cradle”. Oui mais petit, le brandy, ça ravage pas mal le foie et le cerveau. Tu pourrais très bien devenir cet Intoxicated Man de Serge Gainsbourg et avoir de terribles hallucinations, et l’autre aussi pâle que le plafond du living-room ne vous aidera certainement pas. Après tout, voir des éléphants roses, c’est plutôt agréable.

L’autre, c’est la fille à qui je pense, même au fond d’une bouteille, je rêve d’elle. J’imagine sans peine son corps nu se frottant au mien. Au travers de mes rêves éthyliques, son corps parfait, à peine déformée par ma vision brouillée, enchante ma libido anesthésiée par l’alcool. Allez un petit coup, juste un, histoire de s’envoyer en l’air complètement. Sommes-nous cons, nous autres mâles, tellement fiers de notre soi-disant puissance, nous pensons que même bourrés, nous pouvons repeupler la planète. Mais au moment fatidique, “But now I am jaded […] I’m too drunk too fuck”, je pourrais rouler jusqu’en bas de l’escalier, à moitié débraillé. Too Drunk to fuck, oui Biafra, fous-toi de ma gueule. Oui c’est ça, fous-toi de ma tronche, mais au moins je ne finirai pas comme ce vieux fou, qui déjà plein au réveil, boit sa tasse de vin comme d’autres prendraient du café, tenant à peine debout, gueulant sur tout et n’importe quoi, emmerdant de son haleine fétide ses congénères. Red Wine, Success ! Ha oui, on peut être fier, tiens.

Et puis poussons le vice plus loin. Quel pourrait être le voyage ultime ? Le mantra suprême qui repousserait nos propres limites, les frontières de notre cerveau et de notre esprit ? “Nicotine, Valium, Vicodin, Marijuana, Ecstasy and Alcohol “, est-ce la formule parfaite pour passer un été endiablé ou complètement atone, au bord de la plage, le riff rageur et entêtant de QOTSA se rappelant à notre bon souvenir, comme une bouée de sauvetage ? Mantra de fieffé alcoolo, voyageant là où je ne veux point, mes vapeurs ne gonflant que trop peu mes voiles. Ai-je encore assez de dignité pour demander de l’aide à cette Marie-Christine,  comme Arno ?

Laissez-moi.

Laissez-moi boire. Je roule, je bois ma vie à grande goulée, la gueule grand ouverte, je sirote mon fond de bouteille comme d’autres sucent leurs putains de pastilles anisées, pour cacher leurs pauvres vies, si bien rangées dans leurs petites cases. Ma religion, ma prière, mon credo, mes psaumes, je ne les récite qu’à Sister Saviour et qu’importe le flacon, pourvu que j’ai l’ivresse.

Je n’ai cure de [Message à caractère informatif] Clean [Fin du message à caractère informatif].

Foutez-moi la paix avec votre éthique à la mord-moi-le-noeud. Les larmes, je les bois aussi.

Allez un verre, mais juste un dernier… Jusqu’au prochain.

Les morceaux choisis par la rédaction :

>> Pour écouter la playlist, rendez-vous sur   Spotify

  1. The Doors – Alabama Song  (titre proposé par Yakamo, Kronem, Ululik, Loïc et Gwendal)
  2. Jamie T – Calm Down Dearest (titre proposé par Marien et Spiroid)
  3. The Kinks – Alcohol (titre proposé par HStack)
  4. Gil Scott-Heron et Brian Jackson – The Bottle (titre proposé par Dawn)
  5. Tom Waits – Tom Traubert’s Blues (titre proposé par Kronem)
  6. Frank Sinatra – One For My Baby (and One For The Road) (titre proposé par Blythou)
  7. Jacques Brel – La Bière (titre proposé par Yakamo)
  8. The Streets – Too Much Brandy (titre proposé par Marien et KidB)
  9. Serge Gainsbourg – Intoxicated Man (titre proposé par KMS)
  10. Miossec – La Fille à qui Je Pense (titre proposé par Vincent)
  11. Dead Kennedys – Too Drunk to Fuck (titre proposé par KMS et CHAhah)
  12. Cold War Kids – Red Wine, Success ! (titre proposé par Blabla_about_m)
  13. QOTSA – Feel Good Hit Of The Summer (titre proposé par Mathieu)
  14. Arno – Je Suis Sous (titre proposé par Sand)
  15. The Rapture – Sister Saviour (titre proposé par Voila Mail)
  16. Depeche Mode – Clean (titre proposé par Sand)

>> Pour écouter la playlist, rendez-vous sur   Spotify