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Cette critique a été écrite à quatre mains par Nathan Fournier et Benjamin Fogel

“Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis”. David Tibet est comme Ivan Karamazov, il ne veut pas savoir si Dieu est ou n’est pas. Il n’est pas question d’un pari. Le rôle d’un Dieu est juste d’occuper les esprits pour former un cadre, des lignes à ne pas franchir. C’est un démiurge tout puissant, dont la grandeur et le pouvoir s’exprime par l’absence totale d’action. Le Dieu de David Tibet est aux abonnés absents, il est Dieu justement parce qu’il ne fait rien, il laisse à l’homme le pire des tourments : le choix.

Et dans l’espace tridimensionnel qu’est le monde, David Tibet travaille pour obtenir son auréole. Il cherche à atteindre la plus parfaite des connaissances, à toucher les sommets et à frôler l’être suprême. Ainsi, son âme tourmentée s’envolerait, libérée de la prison de la croyance. L’ésotérisme est le moteur de David Tibet, ce qui le pousse à renouveler les expériences, sans cesse. Il est à la recherche de cette note chimérique qui transcenderait l’homme et sa religion. Il est en quête de la synthèse entre la vie physique et le monde des idées. Sa musique doit réaliser cette fusion, relier enfin le paradis à la crasse des bas-fonds.

Ses chansons virevoltent entre ces deux infinis, elles visent l’élévation la plus noble, mais restent profondément enracinées au réel, glauque et malsain, où les enfants pleurent et le temps passe. David Tibet a la foi, la plus profonde et la plus pure des fois. Elle ne s’exprime ni par une croyance aveugle ni par un discours psychorigide. La foi de David Tibet est diffuse, elle est dans chaque mouvement de doigt qui caresse le piano, dans chaque son qui se forme au fond de sa gorge, dans chaque détour de sa voix. Cette foi en un inconnu, cette foi invulnérable qui tend à démontrer que l’art sauvera enfin les hommes, parce qu’il apportera l’expérience, la beauté, les sentiments à tous, surpasse finalement chaque démiurge imaginable.

Premier album après la sainte trilogie, « Honeysuckle Aeons » est une prière lumineuse. Il ne s’agit plus d’imposer la peur mais de régner par le respect. Les requiem sont apaisés et à la folie tortueuse des « Invocation of Almost » d’hier s’opposent aujourd’hui des orgues envoutants (« Lily »). Mais bien que les guitares de l’enfer se soient tues, bien que les cris d’Hadès ne résonnent plus, il ne s’agit pas pour autant d’une renaissance ! « Black ships ate the sky », « Aleph At Hallucinatory Mountain » et « Baalstorm, Sing Omega » n’étaient pas une catharsis mais une éruption, ils étaient la lie qui purge la haine pour accroitre l’intelligibilité du discours à venir.

La voix éreintée, David Tibet susurre à nouveau et c’est tout « Honeysuckle Aeons » qui éclot sous une nouvelle forme de cohérence où les chansons se répondent entre elles. Les apôtres sont les mêmes (Eliot Bates, Baby Dee, Andrew Liles…) mais les lignes de constructions se dessinent au sein du chaos. Les harmonies s’imbriquent les unes dans les autres et sous nos yeux effarés apparait le projet fou de David Tibet : l’autel de sa propre religion, un monument entre deux mondes pour prier les vivants et les morts.

Les ballades désaccordées (« Moon ») sont des hymnes à destinations des chèvrefeuilles fanés (Peter Christopherson et Sebastian Horsley disparus l’année dernière) tandis que les aspirations sont des tournesols étincelants qui louent les vivants (Shirley Collins et Bill Fay).

Shot the hail and frost
I heard the angels breathe them
Our watchers of the bark and boat
An endless praise sang the sand into diamonds

David Tibet devient alors le Grand Inquisiteur, celui qui a compris comment remplacer Dieu, sans jamais remettre en compte son existence. Il suffit simplement de croire, mais mieux que les autres. En attendant, Current 93 sort son « Honeysuckle Aeons » sur Coptic Cat ; plus que des incantations habitées, une véritable profession de foi.

Note : 8,5/10

>> A lire également, la critique de Thomas sur Le Golb