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Oh my Gods !

Ce premier tome de la série Des Dieux et des Hommes, annoncée comme fleuve (30 volumes prévus, dessinés par une pléiade de dessinateurs),  invite à réviser son dictionnaire des superlatifs négatifs : ampoulé, lourd, prétentieux, décousu… En un mot, raté.

Raté certes, mais un ratage proportionnel à l’ambition affichée par Jean-Pierre Dionnet – respectable personnage au demeurant dont on n’étalera pas ici le pedigree – qui prétend créer la rencontre virtuelle entre Jack Kirby, ponte du comics US, et Eric Rohmer. Mince ! Le rapprochement est osé, et d’emblée, la tentation de pouffer nous assaille. Tiens, et pourquoi pas Frank Miller meets Claude Sautet ? Ou croiser Stan Lee et Claude Chabrol, en bon docteur Frankenstein de bazar ?

Bref…

Restons de prime abord l’esprit ouvert, tout en sachant que certaines disciplines ne souffrent pas l’approximation. Notamment celle qui consiste à recréer une mythologie, exercice millénaire ô combien casse-gueule et dominé par quelques vétérans entrés dans la légende : Homère, Tolkien, Frank Herbert, Jésus ou Kamel Ouali… Jean-Pierre Dionnet ne peut donc pas ignorer la hauteur de  la barre à franchir pour espérer ne serait-ce qu’arriver au genou de ces illustres prédécesseurs. Mais plutôt que d’enfiler ses plus belles chaussures de sport, il s’est manifestement chaussé de Moon Boots de contrefaçon.

L’idée de départ est pourtant séduisante : lors de la grande crise de 1929 aux Etats-Unis, 66 créatures naissent le long de la Route 66. Immortelles et indestructibles, elles assistent passivement à l’extinction de l’humanité et trompent leur ennui en se battant entre elles… Les fans d’uchronie, de SF, de Moebius et Neil Gaiman trépignent d’avance en découvrant ce programme alléchant peuplé d’American Gods.

Mais derrière une couverture aguichante imaginée par Moebius en personne, Des Dieux et des Hommes sombre vite dans le grand n’importe quoi. Le dessin de Laurent Theuriau est pourtant ample, parfois impressionnant, et épique à souhait. Les planches sont pleines d’un déluge de couleurs et d’explosions,  remplissant finalement leur mission théorique : se mettre au service d’une histoire pleine de bruit et de fureur. Malheureusement, le scénario tombe à plat et fait naître un sourire gêné au coin des lèvres. Les dialogues, aussi boursouflés que les cuisses d’un sumotori, frisent le ridicule, et toutes les tentatives d’incursion dans le comique tournent au gros bide. En effet, la flamboyance de la mise en scène des planches, la solennité et le volume du dessin, s’opposent à la fatuité du propos. Le texte et l’image sont tristement décalés, et la recette de sauce mythologique de Jean-Pierre Dionnet se transforme alors en ketchup industriel premier prix.

A titre d’exemple, citons l’interminable séquence introductive (près d’un tiers de la pagination totale, tout de même), visuellement bien construite, qui voit deux dieux s’affronter suite à la provocation en duel du Numéro 1 par le Seigneur des Mouches . Les deux protagonistes s’envoient des “Quand tu m’as dérangé, je venais juste de comprendre que l’immortalité… c’est l’éternité plus un jour !”, sentence mystique qui s’entend répondre “Je sais que tu sais que je sais que tu mens”. Pauvres dieux… Jack Kirby et Eric Rohmer se peuvent décemment pas reposer en paix.

Par charité, attendons toutefois le 2ème tome prévu en mai pour se faire une opinion plus définitive sur les objectifs de son auteur. Mais la déception à l’issue de ce premier tome est à la hauteur de l’attente suscitée par ce projet audacieux. Premier de cordée avec un scénario qui manque de prises sécurisées, il serait regrettable que Dionnet, s’attaquant à la face nord d’un Olympe hélas trop haut pour lui, entraîne dans sa chute le casting rêvé de dessinateurs qu’il annonce s’engager dans l’expédition. Car quand le scénario d’une BD dévisse, un dessin magistral ne sert jamais de parachute.

Note : 3/10