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PINA de Wim Wenders

Sortie le 06 avril 2011 - durée : 01h43min

Par Benjamin Fogel, le 23-04-2011
Cinéma et Séries

Du projet fou de Wim Wenders de réaliser avec Pina Bausch une pièce de danse filmée qui allierait la dynamique du cinéma à la puissance émotionnelle des chorégraphies de l’allemande, il ne reste que des intentions. On pensait voir un nouveau genre apparaitre, on pensait que « la comédie dansée » deviendrait l’homologue de la « comédie musicale ». On pensait partager un moment avec le Wim Wenders des « Ailes du désir » mais on boira un café avec celui de « Buena Vista Social Club » ; on aime énormément les deux mais le premier nous transcende là où le second nous fait partager des moments de complicité. Et aujourd’hui j’avais envie (besoin ?) d’être transcendé ; de manière un peu injuste, les déconvenues cinématographies récentes créent des manques et donc des attentes démesurées.

Peut-on en vouloir à Wim Wenders d’avoir transformé ce qui était l’une des plus excitantes collaborations de ces dernières années en un « simple » film hommage ? D’un point de vue humain, il a indéniablement opté pour la solution la plus saine et la plus respectueuse, mais d’un point de vue cinématographique, on se dit que le plus bel hommage qu’il aurait pu rendre  à Pina Bausch aurait été de se battre pour leur idée, pour leur vision et de remettre sur pied un projet similaire avec un nouveau chorégraphe. A minima, on espère que Wim Wenders cherchera à réitérer le projet – sans pour autant jamais chercher à remplacer Pina Bausch –  avec d’autres artistes (dans le genre de Marie Chouinard ou de Philippe Découfflé).

Tout au long du film, on sent que Wim Wenders n’est pas à l’aise avec son sujet et avec ses ambitions. Il jongle entre plusieurs genres, entre plusieurs velléités sans jamais réussir à en mener aucune jusqu’au bout.

En tant que documentaire, « Pina » échoue à humaniser la chorégraphe, à dévoiler l’aspect humain du mythe. En ne s’attachant qu’aux œuvres et non à l’artiste, il ne crée pas les ponts nécessaires et semble rester en surface. Cette impression est particulièrement accentuée par les témoignages qui fonctionnent tous sur le même carcan : « En 20 ans, Pina ne m’a dit qu’une chose : qu’il fallait que je transforme ma fragilité en force », « En 20 ans, Pina ne m’a dit qu’une chose : qu’il fallait que je m’appuie sur ma timidité pour être amour»… Cette perpétuelle déification de Pina  finit par lisser le film et par rendre risible des témoignages pourtant dictés par un amour profond et une tristesse encore à fleur de peau.

Outre les questions sur le positionnement, l’hommage ne fonctionne pas non plus toujours. On reste souvent dans l’illustration de la force émotionnelle de Pina Bausch plutôt que dans son prolongement. A de maintes reprises, on a l’impression que le film étouffe sous le génie et sous la personnalité de Pina ! Wim Wenders comme les acteurs ne peuvent alors qu’espérer ne pas trahir.

Mais c’est au niveau du défi technique qu’on ait peut-être le plus déçu, non pas au niveau de son exécution mais au niveau de son rendu. Si comme promis, Wim Wenders fait  bien de son Pina le seul film avec « Avatar » à posséder une vraie réflexion sur la 3D, cette réflexion ne dépasse jamais le cadre de la faisabilité : c’est effectivement une réussite scientifique de par sa capacité à isoler les mouvements mais c’est au final d’une réelle tiédeur esthétique. Il faudra peut-être encore un peu de temps pour maitriser la 3D au point que la technique puisse se fondre dans le touché du cinéaste et devenir un moyen et non un résultat ! Ici la plus-value n’est que rarement émotionnelle. Ces danses qu’on suit dans leur moindre mouvement en arrivent à manquer de mystère et de zones d’ombre, comme un tour de magie où la caméra espionnerait les mouvements de l’artiste pour finalement nous les diffuser au ralenti afin de nous montrer les « trucs ».

Enfin, l’idée de film dansé disparait sous une succession de collages et préfère donc les bouts de pièce à un schéma narratif complet. Si les parties dansés en décor réel rythment parfaitement le film et possèdent leurs lots de trouvailles visuelles (avec d’intéressants décrochages vers l’art contemporain) et sont conformes au rapport que Pina entretenait avec la nature, elles restent des scénettes qui illustrent les interviews et qui ne s’affirment jamais comme les étapes d’une œuvre plus complète.

Pourtant au milieu de ces nombreuses déceptions, de ces quatre échecs, de ses partis pris dommageables, reste une somme de talents qui de base éliminait tout risque de ratage complet pour « Pina ». Car oui si le documentaire ne perce jamais le mystère Pina, il n’en reste pas moins très émouvant ; si l’hommage manque d’ambition, il n’en reste pas moins humble et touchant ; si la technique n’échappe pas à la simple démonstration, elle n’en reste pas moins une innovation qui augure du meilleur ; si le film de danse ne se présente pas comme une vraie pièce du début à la fin, il n’en reste pas moins truffé de moments de plénitudes visuelles.

Note : 6,5/10

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