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RABBIT HOLE de John Cameron Mitchell

Sortie le 13 avril 2011 - durée : 01h32min

Par Thomas Messias, le 13-04-2011
Cinéma et Séries

Il suffit d’un nom pour tout remettre en perspective, transformer une affiche repoussante en une promesse bouleversante, faire basculer un film du conventionnel au superbe. Pour Rabbit hole, ce nom tient en dix-neuf lettres : John Cameron Mitchell, cinéaste de génie, auteur des inestimables Hedwig and the angry inch et Shortbus, peintre iconoclaste du désarroi et de la désorientation, analyste désenchanté du désir et de la frustration qui l’accompagne. On tremblait tout de même de voir cet artiste singulier s’attaquer à un film de commande, et en l’occurrence à l’adaptation d’une pièce de théâtre d’apparence guindée ; une nouvelle fois, JCM vient nous cueillir, discrètement, nous prenant délicatement à la gorge pour ne plus jamais relâcher son emprise. Avec son pitch et sa Kidman, Rabbit hole a de quoi faire peur : mais cette peur, Mitchell en joue et la retourne contre nous, comme seuls savent le faire les très grands cinéastes.

Car Rabbit hole, c’est tout de même l’histoire d’un couple qui tarde à faire le deuil de son très jeune fils, mort 8 mois plus tôt. Le potentiel tire-larmes d’un tel postulat n’est pas à prouver : pourtant, le script écrit par David Lindsay-Abaire d’après sa propre pièce évite avec maestria le demi-milliard de pièges imposés par le sujet. D’abord parce qu’avant de plonger tête la première dans la dissection d’un deuil, le film prend le temps de se pencher sur la définition du mot. Ou plutôt les définitions. À travers les points de vue des parents orphelins, ce sont deux conceptions bien différentes qui se côtoient sans forcément s’opposer. L’oubli ou le souvenir. Le recueillement ou le détachement. La grande force de ce Rabbit hole, c’est qu’il évite malgré tout d’emprunter des voies trop binaires et de faire en sorte de rendre la palpable la complexité de l’épreuve qu’affronte quotidiennement ce couple qui n’en est plus un. Le constat est déchirant : une telle perte vous plonge dans la solitude la plus totale pour l’éternité, qu’on prétende ou non se serrer les coudes et affronter les épreuves ensemble.

Si le film est résolument plus “classique” que ses deux longs précédents, John Cameron Mitchell a su injecter ses propres obsessions pour rendre Rabbit hole plus bizarre qu’en apparence. Cela commence justement par un roman graphique donnant son titre au film, fruit de l’imagination de l’un des protagonistes cruciaux du film. Cela se poursuit avec des scènes de thérapie de groupe où éclate un malaise déconcertant mais jamais agressif. La patte Mitchell, en somme : chatouiller les rétines et faire tanguer les cœurs sans jamais tomber dans le calcul. Qu’il s’attarde sur un chanteur transsexuel, sur un groupe d’habitués d’un club underground ou sur ces deux bourgeois rendus malheureux à vie en une poignée de secondes, le metteur en scène emploie toujours la même technique. Il accompagne ses personnages, passe un moment avec eux, puis les laisse à leur sort sans les juger. On a beau aimer la façon dont Rabbit hole se déploie peu à peu, on ne cesse de trembler en imaginant quelle conclusion lourdement édifiante viendra nous tirer du rêve. Non seulement la fin ne gâche rien, mais elle parvient même à transcender l’ensemble et à rendre rétrospectivement bouleversant toute la pudeur mise en œuvre précédemment.

Porté par des acteurs atteignant le sommet de ce dont ils sont capables – Nicole Kidman, hors de toute notion de performance, et surtout Aaron Eckhart, dont chaque pore transpire la détresse -, Rabbit hole n’offre guère de porte de sortie. Non seulement il fait de chaque personnage un être solitaire, mais il dresse de hauts remparts entre toutes les catégories (sexuelle, sociale, générationnelle) afin de bien montrer que la communication ne vaut rien face à la douleur. Inutile de prétendre comprendre ces gens-là, de se sentir proches d’eux parce qu’on a un jour vécu un drame presque aussi terrible, d’imaginer qu’ils puissent trouver une oreille compétente auprès de gens aussi dévastés qu’eux. Leur vie ne consistera qu’à faire semblant. Cet artifice, nul autre que John Cameron Mitchell ne pouvait le rendre aussi tangible, aussi anti-hollywoodien. Grâce soit rendue à Nicole Kidman, initiatrice de ce projet pouvant difficilement laisser de marbre.

Note : 8/10