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SOLAIRE de Ian McEwan

Par Anthony, le 15-04-2011
Littérature et BD

Vous lirez ici ou là que Solaire, le nouveau roman de Ian McEwan, est un petit bijou d’humour, une charge en règle contre les catastropportunistes du dérèglement climatique. Si vous vous attendez à une poilade dantesque, passez votre chemin et emparez-vous au plus vite de l’intégrale de Louis de Funès, vous aurez plus de chances de vous froisser les côtes. Quand on (sou)rit en lisant Ian McEwan, on (sou)rit jaune, d’un jaune ocre qui rappelle plus surement une fiente de volatile qu’un radieux rayon de soleil.

Il en est justement question, du soleil. Celui qui tombe sur nous et qui irradie vainement la Terre sans que ses stupides locataires  – nous, quoi… – sachent en tirer le profit qu’un extra-terrestre mono-neuronal, arrivant sur notre planète,  saurait immédiatement identifier comme une source de richesse infinie.  Ce soleil, objet de convoitises, c’est le fil rouge du roman, en contrepoint évident du profil très peu solaire de son héros malgré lui, Michael Beard.

Lauréat d’un Prix Nobel de Physique acquis grâce aux atermoiements d’un jury divisé (dans ces cas-là, comme pour l’attribution du Goncourt, c’est rarement un génie ou un audacieux qui emporte la queue du Mickey…), Michael Beard cherche un second souffle dans sa carrière en berne. Trop gros, trop égoïste, trop coureur, trop opportuniste, trop pleutre, trop fainéant, trop menteur… le scientifique court des jours malheureux à la tête d’un Institut qui claque ses subsides à développer une éolienne individuelle qui fournirait de l’énergie à chaque foyer anglais. Il s’ennuie et se fiche de l’avenir de la planète comme de sa première équerre, il trompe sa 5ème femme qui le lui rend bien, il fait illusion auprès de jeunes scientifiques à peine admiratifs de la carrière de leur boss.

A la faveur de concours de circonstances où Michael révélera l’étendue de sa médiocrité, sa carrière va connaître un sursaut inespéré, acquis au prix d’arrangements sordides avec la morale et l’honnêteté. Développant un projet de panneaux solaires révolutionnaires, il va rallier la cause de la sauvegarde de la planète, y voyant une occasion formidable de renflouer son ego hypertrophié ainsi que son compte en banque. Mais chez Ian McEwan, la gloire frôle de près la déchéance, et Michael Beard figure ici un Icare moderne, plus cynique que naïf, brûlé par sa vanité et ses égarements.

Solaire n’est en aucun cas un roman à thèse consacré au dérèglement climatique ou aux énergies renouvelables. Il s’agit plus surement pour Ian McEwan de la poursuite d’une forme de comédie humaine qui lui est propre, à travers le portrait sans aucune concession d’un homme qui passe son temps à faire de mauvais choix, aveuglé par ses tentations les plus viles. Rien n’est sauvé chez Michael Beard excepté certaines des femmes qu’il croise dans sa vie, ces femmes dont la sincérité aurait pu le ramener vers une existence plus honorable. Mais il était écrit dès le départ que le héros de Ian McEwan boirait la coupe jusqu’à la lie, rattrapé en fin de roman par un effet boomerang qu’on voyait venir de loin.

A sa manière pleine d’un humour noir qui prête peu à rire, Ian McEwan adopte la posture du moraliste et semble vouloir démontrer dans Solaire que tout se paye. A la fois sur un registre général – la voracité de l’homme à l’égard de sa planète – et sur un registre particulier – la fourberie d’un homme finit toujours par se retourner contre lui. Les minuscules mauvais choix que notre âme trouble nous pousse à faire ne peuvent que nous conduire à notre perte. Déjà abordé avec génie dans Samedi, son exceptionnel avant-dernier roman, Ian McEwan développe ici cette même thématique, avec moins d’intensité mais avec un talent toujours évident.

Du coup, question : avait-on besoin de 400 pages bien serrées pour étayer à nouveau cette démonstration ?

Probablement pas. Mais l’auteur est un brillant bavard (qui s’égare parfois dans un salmigondis de propos scientifiques), un habile constructeur d’histoires, et surtout un excellent portraitiste. Enrobant son roman de variations sur les thèmes du couple, du mensonge, de l’ambition, des impénétrables voies du hasard et du prix à payer des choix aventureux, Ian McEwan entrelace les grands sujets contemporains et la petite histoire d’un homme médiocre, avec un savoir-faire qui force le respect. Le plaisir de lecture est indéniable, ce qui demeure au final l’une des attentes qu’on formule à un roman.

Au fond, Michael Beard est peut-être un double très sombre de Ian McEwan dans sa vision du monde et de l’humanité. Cette phrase, extraite d’une interview que l’auteur a accordée au Figaro Madame (je jure sur le programme de Nicolas Hulot que je ne suis pas abonné au Figaro Madame !) en dit beaucoup sur sa psychologie au sortir de la lecture de Solaire : ” Vous savez, je suis convaincu que ce n’est pas de la vertu que viendra le salut, mais de l’égoïsme. La première révolution industrielle, qui a tiré des millions de gens de la pauvreté, a été menée par des entrepreneurs cupides et impitoyables. Et ce seront encore eux, et non Greenpeace, qui pourront demain sauver la planète…

Michael Beard n’y sera pour rien, mais malheureusement, Ian McEwan dit probablement vrai.