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La conquête est un cycle, une ascension puis un déclin, sombre destin intrinsèquement inscrit dans ses gênes.

La conquête, comme le bonheur (dixit ce gros malin de Bouddha), n’est pas un but, au fond, mais un chemin. Un moyen de repousser les limites de l’inconnu, jusqu’à l’épuisement, l’abandon ou la mort (ce qui, convenons-en, est généralement fatal).

La conquête est donc – CQFD – une sorte de métaphore de la vie. Vie dont au sujet de laquelle on se demande bien tous ce qu’il y a au bout…

Ramenons ces questions existentielles de premier choix au problème qui taraude l’Empereur de cette trilogie Pour L’Empire : une fois conquises toutes les terres connues, réunies dans un Empire immense, que lui reste-t-il à découvrir ? Les territoires inconnues imaginés par les ancêtres, pardi ! (pas con, l’Empereur, c’est peut-être pour ça qu’il est Empereur…)

C’est la mission qu’il va confier à Glorim Cortis et ses hommes, ses meilleurs soldats : pousser au-delà des frontières répertoriées et tracer les contours manquants sur les cartes incomplètes esquissées par les glorieux aïeux.

Mille kilomètres à pied n’usent pas les sandales des légionnaires de Glorim… Dépassant un poste avancé aussi festif qu’un fortin du Désert des Tartares, fendant les grands espaces dans un ennui que ne peut même pas tromper un Ipod (du fait d’un fossé technologique évident entre l’époque d’Octave et celle de Steve Jobs), affrontant de redoutables amazones au sein d’une forêt descendue de l’Eden, retrouvant les portes d’une ancienne civilisation oubliée… Au nom d’une foi aveugle en leur Empereur, les soldats invincibles de Glorim vont chercher leur chemin, repousser leurs limites, éprouver leur courage, résister aux tentations de renoncer à leur mission malgré la fatigue, le doute, la peur, la faiblesse… Ils vont finalement penser atteindre le bout de leur chemin, et comprendre la finalité de leur mission. Ou pas.

Mourir. Ou revenir à la vie, puis recommencer…

Admirablement dessinée, servie par une mise en couleur – travail époustouflant de Sandra Desmazières – qu’on voit rarement autant en phase avec son sujet (teintes cuivrées comme une vieille cuirasse de centurion, délavés dignes des décorations usées de vestiges romains), et surtout un scénario maîtrisé de bout en bout dans sa progression et sa conclusion temporairement déroutante, cette trilogie Pour L’Empire de Bastien Vivès et Merwan Chabane relève un défi ardu avec un souffle et un brio qui méritent quelques pouces en l’air.

Piochant dans les registres ultra-codés de la mythologie, des légendes antiques et de l’Histoire (ainsi que dans la meilleure littérature du genre), Pour L’Empire prend le temps nécessaire pour renverser les certitudes de ces hommes, les pousser dans leurs derniers retranchements, et transformer une conquête impérialiste en quête métaphysique et fantastique.

Ces bonnes vieilles histoires antiques, traversant les âges et remplissant désormais les salles de cinéma, continuent de nous fasciner car elles renvoient à un âge où la compréhension et la connaissance du monde restaient un mystère. Alors, par un effet de miroir négatif avec notre époque moderne où presque plus rien n’échappe sur Terre à la portée de nos yeux, une étrange nostalgie nous envahit : que reste-t-il de grand à vivre aujourd’hui ?

Les hommes de l’Empereur regardaient droit devant eux pour tenter de percer l’inconnu. Les lecteurs de Pour L’Empire, par procuration, en partageront les découvertes. C’est déjà ça, en attendant de conquérir Mars et de rencontrer des petits hommes verts…

Note : 8,5/10