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Dans un conte moderne, les dessins animés auraient tous un générique composé par Neal Hefti ou Henri Mancini. Des grands faisant aussi de la musique pour les petits.

Au coeur de la nuit, un enfant allume une radio enchantée, caché sous les draps pour éviter de réveiller les parents. 14 ans à peine, il planche sur son premier disque. Réglé par ses soins, le poste ne capte que les ondes radios perdues dans le cosmos, revenues au bercail 30 ou 40 ans plus tard. Une fenêtre FM ouverte sur le passé. Zak n’écoute que ça, et sur la six cordes chourrée sur l’armoire du paternel il s’échine à en reproduire l’esprit, l’inspiration. Stan Lee appelait ça un épisode “spécial origines”. D’étranges composés stellaires irriguent les artères de l’adolescent, et ses doigts sont emportés sur les frètes par un fluide venu des lunes de Saturne. Ou D’Uranus, il ne sait plus trop, le gosse. Il a écrit au feutre sur son poste de fortune “LOU”, longues ondes uraniques. LOU capte les ondes mortes revenues du néant, Lou est mort semble-t-elle nous dire. Zak Laughed sort un deuxième album à 17 ans bien tapés, Love is in the carpet, qui ne dit pas autre chose.

Et Lou est mort c’est bien vrai. Les Feelies reviennent en 2011, pour le faire revivre. Ouvert le placard, fermé la fenêtre donnant sur l’océan, rouvert les valises posées il y a bien 15 ans. Fini le bagage trop plein descendu à grand peine du toit de la voiture. Un solide pantalon bien coupé, un pull élégant mais discret, un petit laptop pour rester en contact avec les proches… et puis les disques. Les fidèles, pas ceux qui sortent chaque jour par douzaines. Mais les Feelies n’ont pas de LOU, elles n’ont pas les pouvoirs magiques qui transforment un ado de 17 ans en artiste redoutable. A qui la relève? “La relève”, titre le comic book où trône le dessin d’un bel ampli Fender.

Lou Reed est mort, il déclame comme un acteur de seconde zone, grandiloquent, le regard exagérément noirci et le ton ridiculement solennel. Lou Reed est mort, il est devenu poète. Commettant l’irréparable, oubliant que Gainsbourg, s’il a toujours souffert de ne pas être reconnu comme peintre, a préféré devenir un compositeur valable plutôt qu’un tâcheron du crayon.

Lou Reed est vivant. Il hante les tables des spirites. Invoqué à tout va, il ne manque pas une occasion de sonner un coup (pour « oui »). Ses invocateurs les plus zélés font plaisir à voir. D’un côté les Feelies ressuscitent le Velvet underground. De l’autre, le minot Zak Laughed revisite sa carrière solo. Toujours aussi bon compositeur, le vieux Lou, il a bien fait de passer l’arme à gauche. Le vieux Lou avait chanté les travs de New York, le p’tit Zak chante sans le savoir leurs clients bizarroïdes, ces “funny Johns”.

Page 12, dans la case centrale, Zak touche un météorite qui accélère sa puberté. En rentrant chez lui, il a mué, et l’accent branlant de sa voix juste grandie résonne avec la caisse de son Epiphone. Encore une caisse en bois. Lou’s dead, really?

Ne pas oublier de changer les piles du L.O.U en rentrant. Acheter une corde de “mi”, aussi. Et ne pas prêter attention aux amies de maman qui le surnomme le petit Bowie. C’est que Last teen song, disent-elles, leur rappelle cette merveille de Memories of a free festival. Maman ajoute que Unknown meaning aurait fait une belle face B de Ziggy Stardust. Un jour, penser à lui accorder le bénéfice du doute, elle qui semble avoir compris, et lui montrer le L.O.U. Penser aussi à lui demander si Kütü folk a appelé.

Chez Kütü folk, on cultive le bel objet, jusqu’aux pochettes de disque cousues main. En couverture du nouveau numéro, Zak arbore une cape du plus bel effet. The clothes make the man, n’est-ce pas? Solidement campé sur le Chrysler building, super-héros botté de santiags sur mesure, il contemple une ville en accord parfait, à la veille d’une block party mémorable. Une joyeuse marche funèbre en honneur des héros du passé. Au loin sur la 5e avenue un type hagard semble chercher son chemin, de passant en passant. Il porte des Ray ban et un perfecto usé.

Dans un conte moderne, Le prisonnier est tourné à Manhattan et s’en sort aussi mal que le premier du nom. Il crie aux passants « mais puisque je vous dit que c’est moi Lou Reed », tentant d’agripper la foule indifférente. Plus fort il crie, plus vite il court, et plus nombreuses fleurissent les affiches sur les murs : Lou’s back : the Feelies live, 2e partie Zak Laughed.

Deux yeux se plissent malicieusement derrière les verres fumés, John retient un sourire trop franc et secoue la tête en murmurant « sacré Lou, ah, sacré Lou… ».

Note : 7,5/10

>> A lire également, la critique de Thomas sur Interlignage