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GRANDVILLE MON AMOUR par Bryan Talbot

Par Anthony, le 21-06-2011
Littérature et BD

Tarantino meets Blacksad meets Sherlock Holmes meets Dirty Harry meets La Ferme des Animaux meets Jean Ignace Isidore Gérard (qui ??? Lui, …).

Le tout avec un budget Effets Spéciaux digne de Star Wars mais pour le prix d’une licence Photoshop et d’une collection de crayons de couleurs (et avec des cachets d’acteurs bien éloignés des standards hollywoodiens, acteurs dont l’expressivité du jeu de certains évoque plus sûrement Snoopy que, au hasard, Klaus Kinski…).

Welcome donc to Grandville Mon Amour, la nouvelle bande dessinée anthropomorphique et steampunk de Bryan Talbot.

BD à grand spectacle s’il en est, Grandville Mon Amour (épisode 2) remet en selle l’inspecteur de Scotland Yard LeBrock, un blaireau (au sens propre, je parle bien de la bestiole noire et blanche) taillé comme Vin Diesel mais qui dégage une humanité autrement plus convaincante que celle du héros de Fast and Furious. Accompagné de son fidèle acolyte, le rat Radzi (toujours au sens propre…), LeBrock fait un cas personnel de l’arrestation du chien Mad Dog Mastock, qui vient de s’échapper de la Tour de Londres au moment où il allait subir une décapitation définitive par voie de guillotine.

Mais, me direz-vous par le truchement d’une belle présence d’esprit : une guillotine en Angleterre ?

Oui. Une guillotine. Car dans le monde uchronique de Grandville où nous ne sommes pas à une surprise près, l’Angleterre sort tout juste de 200 ans d’occupation française à la suite de la victoire des Bleus – une fois n’est pas coutume – dans les guerres napoléoniennes. Arrachée de haute lutte par des mouvements de désobéissance civile et d’attentats anarchistes, l’indépendance anglaise est déclarée depuis 23 ans au moment où débute notre histoire…

Suite à son évasion inattendue, le psychopathe Mastock, ancien héros de la Résistance britannique, s’est donc fait la malle en France où il égorge consciencieusement des prostituées. Mais dans quel but ? Lebrock et Ratzi vont traverser la Manche à bord d’un aéronef à vapeur et leur enquête va les plonger au coeur d’une machination politique qui touche les plus hauts sommets de la jeune République Socialiste de Grande-Bretagne…

Une fois encore, Bryan Talbot dénonce dans sa série – dont il est dessinateur et scénariste – les dérives dont se rendent coupables les leaders politiques de tous genres (les modalités d’entrée dans la guerre en Irak dans le premier tome de Grandville, les petits arrangements consécutifs à une guerre révolutionnaire, où les amis d’antan deviennent adversaires à la faveur de la disparition de l’ennemi commun dans Grandville Mon Amour). Mais chez Bryan Talbot, les bad guys finissent toujours pas payer de leur vie le prix de leur compromission, poussés à la faute par un justicier implacable et violent. Un héritage peut-être chez l’auteur d’un passé de dessinateur de super-héros aux profils complexes et sombres (Batman et Judge Dredd dont au sujet desquels on ne peut pas utiliser le qualificatif de “détendus du slip”) .

Mais au-delà du message politique convenu (quoi qu’assez habilement distillé dans le développement de l’intrigue, conçue pour atteindre son climax dans les dernières pages), c’est la richesse du vocabulaire graphique de Bryan Talbot qui force le respect. Truffé de références à l’histoire de la BD et de clin d’yeux à certains héros emblématiques (on croisera notamment Donald Duck ou un Gaston Lagaffe bouffi comme s’il était dessiné par Tardi), Grandville Mon Amour fait preuve d’un sens du détail, d’un découpage des cases et d’un travail sur la lumière et la mise en couleur assez bluffants. Certaines planches, jouant sur des effets de flou entre l’arrière-plan et le premier plan ou usant d’une certaine esthétisation de la violence (de bien belles projections de sang qui rendraient jaloux le délicat Dexter), renvoient à des codes du genre cinématographique. Le rythme de ce thriller rétro-futuriste s’en trouve renforcé, et l’immersion du lecteur est totale, déjà décuplée par le choix par Bryan Talbot de donner vie à un véritable zoo d’animaux humanisés.

Bryan Talbot invente avec Grandville un monde déroutant et violent, peuplé d’animaux aussi vils, brutaux et ambigus que leurs modèles humains. Mêlant habilement ses influences, il signe de facto un hommage à plusieurs genres – cinéma, littérature policière et SF, arts graphiques – pour les sublimer dans une bande dessinée qui pourrait, si ses suites s’appuient sur des scénarios plus riches encore, rejoindre l’étagère des Classiques.

Note : 8,5/10