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MEDIANERAS de Gustavo Taretto

Par Thomas Messias, le 30-06-2011
Cinéma et Séries

C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui habitent à quelques mètres l’un de l’autre et finiront tôt ou tard par se rencontrer. Sur cette trame ébouriffante de singularité, Medianeras entend piétiner les plates-bandes de la comédie romantique pour mieux décrypter les affres de la solitude et de l’enfermement psychique et physique. Les deux héros du film, Mariana et Martin, sont en effet les prisonniers volontaires de gigantesques cubes de béton nommés immeubles, qui les empêchent parfois de voir plus loin que le bout de leur nez et de gérer leurs existences comme il le faudrait.

Après un Homme d’à côté très impressionnant dans sa façon de relier intimement l’être humain, son habitation et son mode de vie, Medianeras est cette année le deuxième film argentin à faire de l’homme et de la femme des victimes de l’évolution sociologique et architecturale de leur ville. Chapitré au gré des saisons, le film profite de chaque début de partie pour montrer, voix off et images à l’appui, les principales caractéristiques structurelles de la ville de Buenoa Aires. Ludique et édifiant, le propos se greffe idéalement dans la trame du film. La compression des motifs, leur inlassable redondance et la cruelle désorganisation de l’ensemble sont notamment là pour expliquer pourquoi les trentenaires argentins sont devenus si asociaux en quelques années. Klapisch avait tenté de le faire sur quelques images de L’auberge espagnole, utilisant des routes entrecroisées pour faire du monde un vrai bordel ; Gustavo Taretto, lui, s’y emploie plus durablement et se fait autrement plus convaincant.

À ce propos passionnant et original s’ajoute donc, sur un mode alterné mais pas binaire, la description délicate des deux héros et de leurs modes de vie. Taretto fait de Martin une sorte de hikikomori sauce argentine, donnant à ce geek névrosé un charme désabusé qui fait son petit effet. Quant à la très belle Mariana, elle pourrait n’être qu’une Bridget Jones de plus si elle n’était elle aussi enfermée dans une série de névroses et de phobies, dont un refus de prendre l’ascenseur qui donne lieu à une scène absolument prodigieuse dans laquelle elle grimpe vingt étages avec son rendez-vous du soir pour atteindre le restaurant dans lequel il souhaitait l’emmener dîner. Le film regorge d’un millier de façons spirituelles et décalées de traiter le principe du « si loin, si proche » caractéristique des grandes agglomérations. Pour Mariana, Buenos Aires est l’équivalent grandeur nature d’une double page d’Où est Charlie ?. Et c’est tout à fait ça : chercher pendant une éternité ce qu’on a sous le nez. Un principe que bien des réalisateurs avaient déjà traités sous un angle romantico-mièvre, avec mille fioritures faussement profondes sur le destin et l’inéluctabilité des choses, mais que Taretto remet brillamment au goût du jour.

Dynamique dans sa construction, peu commun dans sa façon de dire et de montrer, Medianeras (murs mitoyens) est aussi drôle et pathétique qu’une journée (ou une vie) passée en solitaire chez soi, à ne rien faire de constructif ou presque, à rêvasser à des lendemains plus ou moins meilleurs tout en regardant l’heure tourner. C’est pourtant un film assez réconfortant par sa façon tout sauf naïve de montrer que, malgré nos existences virtuelles parfois menées en solitaire, nous sommes entourés, bien entourés, et donc jamais tout à fait seuls. Ce que semble confirmer l’ultime détail qui tue du film : le générique de fin, dans lequel le cinéaste donne carrément son adresse mail afin de recueillir éventuellement les impressions et sensations laissées par son film. Espérons qu’il compte parmi ses relations quelqu’un de vaguement francophone.

Note : 8/10