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>> Quelques états d’âmes inspirés par l’album « Go Tell Fire To The Mountain » de Wu Lyf.

– J’aurais du m’en douter, maugréait Brunet en lui caressant les cheveux. L’histoire se répète, encore et encore, jusqu’à l’écœurement. Toujours la même trame : l’excitation qui monte, la jeunesse qui y croit, et moi qui comme tout le monde retient mon souffle, et pourquoi au final ? Pour rien ! Juste de nouvelles couvertures ! Non pas des couvertures où l’on se blottit confortablement, où l’on partage la chaleur humaine, non des couvertures pour recouvrir, pour enrober, pour masquer la vérité ! Nous sommes des orphelins toujours à la recherche d’une famille d’adoption, mais faut ouvrir les yeux merde ! C’est finit l’époque des idéaux et des grands mouvements populaires. Maintenant c’est la guerre ne serait-ce que pour trouver une petite chapelle à soi. Et pourtant quoiqu’il advienne on ne peut pas laisser tomber les hommes.

Si le corps de Mathieu ne l’avait pas maintenu sur le canapé, il se serait probablement levé pour couper le poste et mettre un terme à « L Y F ». Brunet avait toujours été comme ça, et lui aussi se callait toujours sur la même trame. Au départ, il avait la conversation facile, il se sentait proche des gens, il voulait construire avec eux, et puis soudain il craquait, il dévoilait sa nature profonde et tranchait dans le vif. Au final, il avait besoin d’être dans les extrêmes, peu importe le pour, peu importe le contre, l’important était l’engagement : il fallait durcir les muscles et ne pas se laisser aller à la paresse, ne pas laisser les sens s’engourdir.

Mathieu écoutait « Cave Song » et ça ne lui déplaisait pas. Les mélodies avaient beau être pâteuses, la voix de Ellery Roberts l’intriguait. Oui c’était agréable de voir ces chansons apparemment inoffensives être perverties par ces éructations ; pour une fois l’indie pop se faisait gangrener par la noirceur du folk apocalyptique et par la virulence du hardcore contemporain. Du coup sous les bonnes intentions, on sentait aussi l’absence de compromission ou du moins la volonté de s’auto-saboter pour détruire sa carcasse bien trop lisse.

– Tu vois, reprit Brunet, ce sont des prières dans le vide, des incantations qui se perdent dans les cieux. Prend un David Tibet ! Lorsqu’il chante, on a l’impression qu’il invoque une entité supérieure et qu’une divinité orphique va soudainement se dresser devant nous, alors que là une chanson comme « Such A Sad Puppy Dog », ce n’est rien de plus qu’une séance de spiritisme, une histoire de gamins qui essayent de se faire peur.

Il y avait de l’aigreur dans la voix de Brunet mais les signes d’affections qu’il déposait sur la joue de Mathieu débordaient de tendresse et de précaution.

En même temps, ils étaient tous les deux encore des gamins (ou du moins des adolescents) et ça ne déplaisait pas à Mathieu de virevolter avec cette foi qui donne des frissons, et ce aussi fallacieuse soit-elle. Cette manière d’essayer de faire rentrer les schémas narratifs du post-rock à la Godspeed You Black Emperor dans des formats pop, ça limitait beaucoup les comparaisons et on ne se sentait même plus de mentionner l’esprit des Stones Roses. Dommage que cette guitare trop sautillante jouait sans cesse le rôle évident du cheval de Troie (« We Bros »), cela aurait évité d’évoquer le « Total Life Forever » de Foals.

– Et puis cette voix ! poursuivit Brunet. On voit bien que c’est forcé et que derrière ce n’est rien de plus qu’une prestation du chanteur de Kings Of Leon, les soirs où, la voix prise par un mauvais rhume, il n’arrive plus à assumer ses minauderies ; un artifice, rien de plus. Non, je te le dis, les hommes méritent mieux que les clowneries de « Summas Bliss » et le tour de passe-passe du clavier transformé en orgue.

Pourtant, « Dirt » et « Heavy Pop », c’était de sacrées chansons, même Brunet devait bien être obligé de le reconnaitre.

Il se blottit un peu plus fort contre lui.

Est-ce que tu m’aimes ? demanda alors Brunet.

Il avait envie de lui répondre « peut-être » ou « ça dépend des jours ».

Au fond, c’était la même chose pour lui et pour le disque : l’amour et le désamour ne se dévoilaient plus comme des passions mais comme des conséquences. Les éléments s’imbriquaient de manière anarchique et on était poussé dans un sens puis repoussé dans l’autre pour au final constater que seuls le hasard et les paramètres externes décidaient pour nous.

– Nous ne sommes pas une génération qui dessine le monde à travers ses yeux, répondit Mathieu. Nous pouvons juste nous contenter de nous positionner dans celui-ci ; on ne choisit plus rien par soi-même, on ne choisit qu’au travers des autres.

– Tu veux dire que tu ne m’aimes que par réaction ? répondit Brunet.

« Peut-être, ça dépend des jours… » voilà la seule réponse qu’on pouvait donner aux questions posées en ce XXIème siècle. Au fond c’était rassurant : quoiqu’il advienne on pouvait toujours se cacher derrière ces mots là. On pouvait un jour croire en la vérité et le lendemain déceler les manœuvres et les manipulations puis douter et enfin se laisser aller à nouveau. Mais Brunet, toujours très sûr de lui et de ses valeurs, n’était pas comme ça : il voulait du sang et des larmes ; il méprisait les gens du milieu, les mollusques qui ne coupaient pas dans le vif.

Le paquet de cigarette était vide et la lassitude prenait Mathieu en traitre comme un point de côté inattendu et cruel. Aux questions, il avait maintenant surtout envie de répondre « Je m’en fous ».  Tout cela était-il vraiment important ? L’amour, les disques, qu’est-ce qu’on pourrait bien en foutre à la fin. Le monde se construit sans nous ! Nous sommes la génération qui ne gesticule que pour combler un vide.

– Et toi alors ? Tu l’aimes cet album de Wu Lyf ? reprit Brunet pour ne pas affronter le silence qui allait s’installer.

Mathieu ne respira pas profondément, il ne serra pas le point de sa main gauche, il ne détourna pas la tête, il n’essaya pas de gagner du temps, il réduit juste au silence cette pensée fugace, ce « pas plus pas moins que toi » qui avait germé dans son cerveau comme une tumeur invisible et fugace, et là en se glissant dans les draps protecteurs de la normalité, il répondit :

« Peut-être, ça dépend des jours… »

… Et le disque terminé, il s’endormit sur les genoux de Brunet.

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