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UN AMOUR DE JEUNESSE de Mia Hansen-Løve

Sortie le 6 juillet 2011 - durée : 1h50min

Par Thomas Messias, le 05-07-2011
Cinéma et Séries

Le talent est dans l’imperceptible. Sans coup férir, Mia Hansen-Løve vient une nouvelle fois de nous le prouver. Pas loin d’être irréprochable, son troisième long-métrage est une nouvelle fois porté par la grâce, la vraie, celle qui transporte personnages et spectateurs au-delà de leurs carcans habituels. Un amour de jeunesse est un film-tortue, qui part modestement pour s’approcher ensuite de la ligne d’arrivée avec autant de patience que de panache. Un petit miracle d’écriture et de mise en scène qui subjugue d’autant plus qu’il est difficile d’en saisir le fonctionnement.

D’un postulat que l’on pensait connaître par coeur (la description d’un amour adolescent, puis ses répercussions à l’âge adulte), la réalisatrice tire un film intime et personnel, dont les aspects autobiographiques (notamment l’histoire d’amour avec un homme plus âgé) ne doivent pas parasiter la très bonne tenue de son univers fictionnel. Construit en trois parties correspondant chacune à une étape du parcours amoureux de la jeune Camille, le récit s’étend sur une période d’une dizaine d’années mais parvient à éviter tous les pièges liés au vieillissement et à l’évolution de ses protagonistes. Science des détails et sens de l’harmonie : Hansen-Løve sait faire exister et durer ses personnages, comptant pour cela sur des interprètes irréprochables. La jeune Lola Creton, parfaitement dirigée, se tire merveilleusement d’un rôle extrêmement difficile : aussi crédible en gamine de 15 ans qu’en jeune architecte, elle est le joli fil conducteur de cet Amour de jeunesse, qu’on ne lâcherait pour rien au monde.

La grande beauté du film tient à sa façon de décrire l’instant présent et de le rendre aussi intense que possible, jusqu’à nous faire oublier comment on en est arrivé là et quelles seront les conséquences. Qu’il y ait risque de rupture amoureuse ou ébauche de triangle amoureux, il n’est jamais question d’en faire une affaire de suspense, mais bien de disséquer les sentiments, leur évolution, les impulsions et aspirations de chacun. Quand Camille, après avoir enfin trouvé ce qui semble être une existence stable, retrouve sur sa route le Sullivan qu’elle aima tant, l’enjeu n’est pas de savoir s’il y aura faute ou non, fuite ou non. C’est aussi ça, la patte Hansen-Løve : traiter les sujets les plus graves, les plus blessants, sur un ton faussement paisible, où l’hystérie n’a pas lieu d’être. Les problèmes d’adultes peuvent aussi se régler sans hauts cris, mais cette absence de décibels est pourtant loin de leur ôter toute leur sève cinématographique ; c’est ce qu’a compris depuis ses débuts cette cinéaste hors pair, douce mais sans illusions.

Il y a cependant une réserve à émettre, un petit “mais” à brandir pour expliquer qu’Un amour de jeunesseest sans doute le moins fabuleux des trois films de la réalisatrice : le choix ou la direction de l’un des acteurs. On a toujours salué la qualité absolue des castings de Mia Hansen-Løve, composés d’acteurs peu ou pas connus mais toujours incontestables. Ici, c’est encore le cas à une exception près. Venu d’Allemagne (on l’a notamment vu dans le brillant Pingpong), Sebastian Urzendowsky incarne Sullivan, l’amour de jeunesse de Camille, celui qui marquera au fer rouge son adolescence avant de venir perturber plus ou moins malgré lui ses certitudes d’adulte. L’idéal aurait été qu’on s’attache à ce couple fragile, qu’on s’interroge sur sa pérennité, qu’on ressente la brûlante passion qui envahit Camille dès qu’elle croise ou recroise ce premier amour. Hélas, par excès de préciosité et de maniérisme, et sans doute parce qu’il n’est pas tout à fait à l’aise avec la langue française, l’acteur rend Sullivan assez antipathique et déséquilibre en grande partie l’architecture de l’ensemble. D’autant que l’autre homme de la vie de Camille, interprété par le danois Magne Havard Brekke, est aussi passionnant que charismatique.

Malgré ce défaut, Un amour de jeunesse est un délicat roman d’éducation qui voit une femme se construire en temps réel ou presque. Pour Camille et pour tant d’autres, tout est affaire de fascination : celle qu’exerce Lorenz, brillant architecte qui prodigue des cours souvent abstraits mais toujours passionnés, et qui finira par devenir davantage que son maître à penser ; et celle qu’exercera toujours Sullivan, petit être apparemment sans dimension, mais qui restera à jamais le premier amour de la jeune femme, celui qu’elle n’oubliera jamais, qui influera consciemment ou non sur chacune de ses décisions. La fascination de Camille est la nôtre. De quoi quitter la salle les yeux légèrement mouillés, transis de déférence à l’égard d’une cinéaste unique dont l’ahurissant parcours est loin de s’achever ici.

Note : 8/10

https://www.youtube.com/watch?v=1HLhW39kE-4