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BEIRUT – The Rip Tide

Par Benjamin Fogel, le 30-08-2011
Musique

On connait les imbrications, on maitrise les influences et on se souvient des complaintes. Pourquoi alors cette envie d’écouter les chansons de Zach Condon persiste-t-elle ? Pourquoi sommes-nous sans cesse en attente de quelque-chose, d’une suite ?

Beirut n’est pas un groupe à enjeu et c’est surement ce qui le rend le plus agréable, le plus nécessaire. Il n’y a pas de confrontation lorsqu’on écoute des chansons comme « East Harlem » et alors que d’habitude ce manque de rugosité, cette incapacité à provoquer des réactions aurait exaspéré, alors que d’habitude on en aurait eu la nausée d’être ainsi si délicatement caressé, et bien « The Rip Tide » s’avère être un refuge apaisant, sans surprise mais aussi sans danger ; le genre de disque qu’il nous faut après une longue journée de travail où l’on sait que le cerveau sera trop faible pour réagir à des stimulus trop torturés ou trop complexes.

Oui la musique de Beirut reste simple et instinctivement intelligible. Elle est simple mais jamais creuse et c’est en ça qu’elle devient un compagnon pour la détente des corps fatigués. On l’embarque avec nous et c’est juste ce qu’il faut pour nous faire revivre sans nous brusquer. Avec « A Candle’s Fire », la batterie fanfaronne et l’on retrouve le sourire. Ce sont des chansons pour marcher dans la rue en se mélangeant à ses contemporains, sans mépris, sans haine mais aussi sans enjeu, des chansons où il fait bon de se balader, de se perdre dans les quartiers pourtant connus et de se mélanger à cette foule, calme, souriante, presque heureuse de vivre.

Chez Beirut, les orchestrations entrent toujours tardivement, on laisse toujours un piano, un synthé, un violon démarrer seul dans son coin. Encore une fois ne pas brusquer. Et alors ce n’est rapidement plus nous qui rejoignons la foule mais la foule qui nous rejoint : on laisse un vague à l’âme accompagner nos pas et au moment où l’on s’imagine tomber à genoux, où l’on croit ne plus avoir la force de continuer seul, les cuivres coupent court à nos dérivations et nous supportent par d’en bas. On entend là tout un monde derrière nous, une masse de chœurs qui nous rappelle qu’on s’est enfermé nous même dans cette idée de la solitude, mais que cela ne reste bien qu’une idée.

L’incursion de synthés et de sonorités électroniques (passage obligé que tous les groupes indé s’imposent dorénavant sans que l’on en comprenne le sens et la logique) arrive grâce à son échange avec les trompettes à rester naturel (« Santa Fe »). Sur « The Rip Tide », comme sur « Gulag Orkestar », il est beaucoup question de ce besoin de rester « naturel », et c’est à la fois la force et la limite du groupe. Naturel ne signifie jamais ici, grandiose, épatant ou encore poignant, non les chansons se rapprochent toujours à des moments de tension moindre, des moments moins mémorables mais pourtant bien nécessaires.

Naturel aussi la manière dont malgré la taille du spectre, les instruments s’agencent entre eux sans que l’on sente jamais l’hommage forcée. Il n’y a jamais de fausse émotion chez Beirut. On se laisser porter par les cuivres de « Vagabond ». Non « porter » c’est un peu trop fort, un peu trop ambitieux, on se laisse plutôt pousser par eux : ils ne nous transportent pas mais nous font avancer dans le bon sens comme un bon petit vent dans le dos.

On pourrait en rester là, dans cette zone neutre d’une normalité salvatrice, mais alors qu’on pense fermer les volets arrive « Port of Call », une chanson magnifique aux émotions contraires, une chanson épique dont on ne sait jamais s’il s’agit de partir ou de revenir. On s’imagine à la fois seul sur une colline entrain de scruter la mer que nous prendrons demain, et à la fois debout sur le devant de la proue apercevant la terre qui se rapproche et entrevoyant tous ces êtres aimés qui attendent impatiemment notre retour.