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EL BULLI – COOKING IN PROGRESS de Gereon Wetzel

Sortie le 12 août 2011 - durée : 1h48min

Par Thomas Messias, le 26-08-2011
Cinéma et Séries

Le 30 juillet dernier, El Bulli fermait ses portes après un ultime dîner offert à son personnel. Situé en Catalogne, El Bulli fut élu meilleur restaurant du monde à 5 reprises entre 2002 et 2009, sous la direction du grand chef Ferran Adrià. Avant même de savoir que le restaurant allait bientôt tirer sa révérence — l’événement n’est même pas mentionné dans le film —, le réalisateur allemand Gereon Wetzel décidait de réaliser un documentaire sur le restaurant au taureau, qui n’ouvre que six mois par an puis ferme le temps de recomposer patiemment une carte toujours plus étonnante. El Bulli, c’est 8000 couverts par saison pour près de 2 millions de demandes de réservations. Cooking in progress tente de nous expliquer les raisons de ce succès.

C’est un documentaire sans voix off, qui fait la part belle à l’image et à l’imagination. Fait un peu frustrant, jamais le chef Adrià ne s’expliquera face caméra. Pour des explications sur son mode de pensée ou la façon dont il est arrivé là, il faudra repasser. Le film de Wetzel se concentre presque uniquement sur le travail, maître mot de la vie du maestro et de ses très nombreux employés. C’est bien simple : lorsqu’elles fonctionnent à plein régime, les cuisines d’El Bulli ressemblent à une incroyable fourmilière, minutieusement organisée mais gagnée par une frénésie de tous les instants.

Le film débute en automne, au moment où le restaurant entre en mode hibernation. Wetzel suit longuement les préparatifs des prochaines recettes, qui relèvent davantage de la chimie que de la cuisine telle qu’on la connaît. C’est tout le principe de la cuisine moléculaire : tenter d’exploiter un aliment sous toutes les formes possibles et imaginables, en ayant recours à des machines diaboliques s’il le faut, puis tester chaque résultat afin de ne garder que le meilleur. Un procédé très scientifique où le facteur humain et sensitif semble finalement n’avoir que peu de place. Le réalisateur est-il admiratif ou un peu déçu lui aussi ? Difficile à établir, et c’est justement là que El Bulli – Cooking in progress pèche un peu : il ne prend jamais parti et se contente d’observer béatement.

Semaine après semaine, mois après mois, Adrià et ses nombreux adjoints compilent sur papier et sur support numérique l’ensemble des comptes-rendus illustrés effectués lors des très nombreux tests. Puis choisissent froidement, grâce à un système de notation, ce qu’ils finiront par servir à leurs clients. El Bulli ne fonctionne pas sur un mode entrée – plat – dessert : chaque visiteur y goûte une bonne trentaine de plats, en quantité souvent microscopique. Une bouchée ou deux, pas plus. Comme le dit Ferran Adrià à un sommelier qui passait par là, c’est d’abord la magie qui importe. Le goût ne passe qu’en deuxième. Le but est donc que quelques maigres grammes d’un alliage savamment réfléchi, le client soit étourdi. Un étourdissement qu’on ne ressent que moyennement face aux images certes belles de Wetzel, tant le film semble poser les limites de cette fameuse cuisine moléculaire sans coeur.

Cette absence de sentiments est parfaitement symbolisée par la façon qu’a Adrià de travailler et de goûter les plats (?) qu’on lui propose. Visage figé, regard dur et froid, il semble penser à autre chose, ne prendre aucun plaisir à tester et déguster les préparations. Son manque d’enthousiasme fascine autant qu’il agace, et finit hélas par devenir hautement communicatif. El Bulli – Cooing in progress est un film instructif, intéressant… mais certainement pas appétissant. La notion de plaisir qui constitue la base même de la cuisine française manque sacrément ici. Un film comme The trip de Michael Winterbottom ouvrait nettement plus l’appétit en quelques plans. Un regard plus acerbe et plus critique de la part de Gereon Wetzel aurait sans doute permis de compenser cet étrange défaut en nous focalisant sur autre chose.