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THE MURDERER de Na Hong-jin

Sortie le 20 juillet 2011 - durée : 2h20min

Par Thomas Messias, le 03-08-2011
Cinéma et Séries

C’est l’histoire d’un cinéma coréen rattrapé par un autre. The murderer, deuxième long de Na Hong-jin après The chaser, est le parfait et passionnant symbole de ce qui se trame actuellement dans le cinéma coréen (en tout cas dans celui qu’il nous est permis de voir sur les écrans français) : deux tendances divergentes cohabitent et finissent parfois par se télescoper, de façon plus ou moins heureuse. Les deux tendances en question peuvent se résumer ainsi : il y a la frange délicate, où une écriture ciselée n’empêche pas les sentiments les plus forts (ou les plus monstrueux) d’affleurer ; et il y a la frange brutale, où l’intensité semble devoir se mesurer en fonction du nombre de litres de fausse hémoglobine déversés face caméra.

Pendant près d’une heure et demie, The murderer se veut un brillant défenseur de la frange délicate de ce cinéma si riche. L’écriture est sèche et maligne, la tension permanente, et la perversité de la situation n’échappe à personne. C’est l’histoire d’un joseonjok, terme désignant les 800.000 sino-coréens vivant dans la ville chinoise de Yanji, coincée entre la Corée du Nord et la Russie. Criblé de dettes, il est contraint d’accepter un contrat à l’aveugle : passer la frontière coréenne pour tuer un homme dont il ne connaît que le nom et l’adresse. Les fantômes du héros ne cesseront de le hanter, non seulement parce qu’il n’est pas le genre de type qui tue sans raison , mais également parce que sa femme s’est tirée en Corée quelques mois plus tôt pour le boulot et n’a plus donné de nouvelles par la suite. Interprété magistralement par Ha Jung-woo, le pauvre Gu-nam passe alors des jours et des nuits devant l’immeuble de sa cible, ressassant un plan que l’on devine approximatif, et mangeant des saucisses sur des brochettes comme pour se donner une contenance. Si sa mise en scène n’est pas toujours éblouissante, Na Hong-jin fait preuve dans cette première moitié d’un joli sens de l’espace, d’une vraie conscience politique et surtout d’une maîtrise aiguë des silences et de leur signification. Souvent seul devant la caméra, désemparé dans un pays qu’il ne connaît pas et qui ne veut pas de lui, le personnage principal s’enferme dans un mutisme qui nous terrasse.

Le film s’articule autour d’une longue séquence jouant réellement le rôle de pivot, puisqu’elle va à la fois bouleverser tous les enjeux précédemment mis en place, mais également influer sur le style de l’heure restante. Se déroulant à l’instant même où Gu-nam décide enfin de passer à l’acte, elle mêle une belle surprise scénaristique, une scène d’action violente en diable, et une course-poursuite effrénée qui n’a pas fini de servir de modèle aux cinéastes du monde entier. Somptueuse… mais fatale. Car peu après, The murderer finit par basculer doucement mais sûrement dans la fameuse frange brutale présentée plus haut. L’évolution de l’intrigue explique en partie ce basculement, puisqu’il est à présent question pour des personnages aux motivations opposées de chercher à avoir le dessus sur les autres. Une guerre des clans dans laquelle certains clans sont composés d’une seule personne, déterminée à aller jusqu’au bout de ses capacités physiques et mentales pour s’en sortir. En bref, un jeu de massacre pervers et parfois jouissif, mais qui fait perdre au film l’inquiétante beauté qui le faisait tant briller jusque là. Symbole de ce changement de cap, Gu-nam finit même par passer au second plan, éclipsé par un certain Myun, mafieux charismatique et ultra-violent, qu’on se régale à regarder évoluer tout en se demandant s’il ne s’est pas trompé de film. Heureusement, Na Hong-jin connaît les limites de ce système et ne dépasse quasiment jamais la ligne blanche, même s’il faut regretter la présence de quelques images du genre “gros plan sur une hache qu’on sort doucement du crâne d’une victime”.

L’oeuvre magistrale entrevue en début de métrage laisse donc place à un thriller honnête, efficace, bien mené jusqu’à son terme, mais qui tend hélas à s’éparpiller en multipliant les protagonistes et les enjeux là où on aurait aimé pouvoir continuer à suivre le fameux meurtrier du titre français. Le film s’achève même en demi-teinte, comme sur les rotules, au gré d’une conclusion un peu plate et surtout déjà vue. Le contexte géopolitique saisissant et l’effroi palpable du vibrant Gu-nam semblent avoir été jetés aux orties en cours de route sous l’effet du manque d’inspiration ou d’influences néfastes. Il n’empêche que ce Murderer demeure bien plus profond que les récents monuments de vacuité qui nous ont été envoyés de Corée, de Breathless à J’ai rencontré le diable