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L.A NOIRE (PS3 / XBOX 360)

Par Benjamin Fogel, le 09-09-2011
Jeux-vidéo

>> Il est conseillé d’avoir terminé L.A Noire avant de lire ce texte.

L.A Noire est un jeu de faux-semblant, une œuvre qui promet des choses dont elle se détourne aussi vite. D’une part, on croit se lancer dans une série policière où les cadavres s’accumuleront et où les crimes révèleront la face cachée du Los Angeles de 1947, mais, très vite, on se joue de nous. Prenant comme point de départ  l’assassinat d’Elizabeth Short et multipliant les références à l’univers de James Elroy, le jeu s’offre d’abord comme une adaptation du Dahlia Noir où le meurtrier inconnu cacherait un tueur en série. Pourtant très vite, l’histoire se résout et ce qui semblait être un leitmotiv ne devient qu’une brique presque anecdotique d’un ensemble bien plus ambitieux. D’autre part, on croit également avoir à faire à un concept révolutionnaire, à une nouvelle manière d’appréhender l’humanisation des personnages virtuels et de se rapprocher toujours un peu plus du film interactif. Mais là aussi on réalise rapidement que les enjeux ne sont pas là : les mécanismes de déplacement ressassent la logique Rockstar ; le système d’enquête et le peu d’interaction qu’il offre avec les objets font pale figure face aux inusables point & click ; les scènes d’actions sont si anecdotiques que le joueur peut sauter celles-ci au bout de trois échecs ; et enfin la fameuse motion capture faciale a beau être une belle réussite technique (donnant lieu à des ébahissements devant tel ou tel jeu de regard, tel ou tel malaise), elle ne constitue pas un concept de jeu en soi. Non ce qui semble vraiment intéresser le studio australien Team Bondi, ce sont ses personnages et la manière dont L.A Noire va mettre en perspective leur quotidien et leur passé.

Ainsi à la linéarité des enquêtes (bien que celles-ci soient toujours entrainantes et intrigantes) s’oppose une construction narrative passionnante qui se développe sur trois niveaux ; chaque niveau pouvant avoir des répercussions sur un des deux autres. L’histoire, qui va se jouer entre l’agent Cole Phelps et l’ensemble de l’unité qu’il dirigeait au Japon quelques mois auparavant, va se reconstruire au travers de l’action principale du jeu, des flashbacks de la guerre, et de cinématiques qui dévoilent via des journaux les événements clefs qui mèneront à la résolution finale. Et c’est là qu’on comprend ce que raconte L.A Noire ! Il ne s’agit pas d’un hommage, il ne s’agit pas d’une reconstitution ! Ce n’est jamais le présent de Los Angeles qui nous intéresse, mais toujours sa mise en perspective par rapport à la guerre. Ce ne sont pas les trafics en tout genre qui créent la toile de fond du jeu, mais comment ces derniers attirent les militaires revenus du combat, qui pensent avoir dorénavant légitiment le droit à leur morceau du rêve américain. L’ambiance jazzy, portée par Thelonious Monk, Ella Fitzgerald et Dizzie Gillespie, n’est alors qu’une succession de mélodies qui viennent remplacer le bruit des balles.

On réalise dès lors que tous les ressorts de L.A Noire se fondent sur des traumatismes post-guerre. Le marine, selon les cas, essaye soit de retrouver sa place dans la société, soit de violer celle-ci pour acquérir de force ce qu’il croit mériter. Il y a ceux qui essayent de racheter leur passé (Cole) et ceux qui en subissent les conséquences psychologiques (le pyromane). Mais dans le deux cas la conclusion est toujours la tragédie, la tragédie d’avoir réussi à vous sortir d’un tel bourbier pour vous retrouver dans une nouvelle vie qui vous sied si mal.

Dans L.A Noire, il est rarement question de bien de mal mais plutôt de légal et d’illégal. Les personnages n’ont plus la faculté morale de juger les choses, ils ne peuvent s’en remettre qu’aux cadres. Il faut alors regarder Cole Phelps s’enfoncer dans ses convictions, dans ce goût pour la justice, qui n’est pas chez lui une philosophie mais un devoir destiné à faire oublier les mauvais choix  réalisés pendant la guerre. Alors qu’il cherche à faire au mieux et que le monde lui laisse croire qu’il en est ainsi, il passe son temps à inculper les mauvaises personnes et à suivre bêtement et à la lettre les ordres. Pétri de bonnes intentions, il reproduit sans s’en rendre compte les mêmes erreurs. Car, et c’est cela qui est particulièrement touchant dans L.A Noire, le personnage principal n’est ni un héros, ni un anti-héros. Comme Niko Bellic dans GTA IV, il n’aurait jamais été un héros de cinéma ! Avec son physique de comptable n’ayant jamais négligé le sport, sa manière de toujours se prendre pour le premier de la classe, et son sens de l’humour sous développé, il finit presque par inspirer la pitié. Même lorsqu’il s’encanaille en laissant ses pulsions parler, il reste ce gentil boy scout qui gardera la tête haute et qui ne craquera jamais ; parce que le sentimentalisme, ce n’est pas pour les gens comme lui ! C’est alors, en la personne de Jack Kelso, qu’on découvre la véritable icône de cette histoire, celui qui au cinéma aurait tenu le premier rôle. Mais c’est justement parce que Cole Phelps refuse de lui céder la place, que L.A Noire est passionnant ; oui c’est un jeu où l’on joue celui qu’on ne joue jamais.

Avec ses personnages secondaires riches en gueule comme Greg Grunberg (Alias, Heroes) et John Noble (Fringe), et sa manière de préférer le réalisme au sensationnalisme (comme dans The Wire, il s’agit souvent de mettre en avant les failles – cf l’incroyable sortie finale de Roy Earle pleine de cynisme – du système politico/judiciaire plutôt que de glorifier les défenseurs de l’ordre), L.A Noire devient un énorme rouage au sein duquel Cole ne pourra survivre.

Il n’y a pas de sauveurs ici ni de grandes effusions sentimentales, il y a juste des hommes qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’on leur donne. Comme le conclut Jack Kelso : « Nous n’étions pas amis, mais nous n’étions pas ennemis non plus ».

https://www.youtube.com/watch?v=0sk9YjbbyJw