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LE RAVISSEMENT DE BRITNEY SPEARS de Jean ROLIN

Par Arbobo, le 15-09-2011
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2011' composée de 11 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2011. Voir le sommaire de la série.

Routier du clavier, Jean Rolin n’est pas non plus journaliste pour rien. Il documente ses livres, facile lorsqu’il s’agit de L’organisation inspiré de sa jeunesse militante, plus inattendu lorsqu’il embarque sur L’Albatros qui assure la liaison entre les possessions françaises en terres australes. Primé et respecté, Rolin est autant considéré comme intellectuel que comme écrivain. Pas comme un styliste, espère-t-on.

L’écriture est à l’ancienne, avec Rolin, l’apostrophe au lecteur, la construction rétrospective qui crée un “faux-présent”. Rien de surprenant à ce que l’auteur reprenne ces préférences dans son dernier ouvrage, c’est cela aussi être écrivain. Coller à son sujet, modeler l’écriture à son sujet, c’en est une autre manière. Dans ce “ravissement” qui n’aura lieu ni pour Britney Spears ni pour le lecteur, Rolin ne choisit malheureusement pas entre ces deux options qui s’annulent et se nuisent l’une l’autre.

Ajoutez un penchant pour la citation et l’abondance de références culturelles, et le jeu des comparaisons devient plus que légitime. Changements de registre, diversions du récit, multiplication des points de vue, ce Ravissement redouble d’artifices pour tirer le livre de l’ennui profond et du néant dans lequel son sujet premier l’attire : la fascination médiatique pour les people et le vide insondable de leur existence. Mais surtout, à quinze ans de distance on lit un mauvais décalque, une copie fanée, de L’organisation. Tout ici s’en fait l’envers, le négatif, son sujet fort, son choix narratif et stylistique cohérent, jusqu’à l’humour, omniprésent dans le précédent et qui ici fait mouche dès la page 220. Rolin se trahit par moment, la tentation du style revient, une tournure un peu plus recherchée, une phrase bien tournée, émergent de ce flot aussi lisse que le papier glacé des magazines qu’il met en scène.

Le pari du titre, écho d’un livre phare de Marguerite Duras qui a éclairé tant de ses pairs, ne manquait pas de panache vu de loin. La comparaison n’en devient que plus cruelle avec Lol V Stein, modèle entre tous d’écriture en pointillés, de style épuré, de mystère dosé au plus juste et de captivante mise en abîme du presque rien. Les deux auteurs partageant un même éditeur, P.O.L, il eut été incongru de ne pas saisir perche si lourdement tendue. Stratégie déceptive?

Ni documentaire, ni illustration-reflet du néant hollywoodien, ni essai, ni récit fantasmagorique, ni polar, Rolin débute tout cela et ne finit rien, nous laissant dans la bouche un désagréable salmigondis d’aliments pas cuits et mal assortis. Des livres possibles, beaucoup sont esquissés pourtant, Borat meets Candide, Hollywood paradis des toiletteurs pour chiens, Depeche mode (people are people), jusqu’à la métaphore trop appuyée de la ville des apparences dans laquelle on finit par se perdre. Le potentiel comique de ce livre, très tôt affiché, était même considérable. On en guette en vain la manifestation, jusqu’à cet assommant sommet de pantalonade, page 257 : “Albertine disparue”. Embarras du lecteur.

De tous ces livres esquissés, le plus politique est à l’évidence le plus solidement ébauché. On voit dans les paradoxes du personnage de FUCK une dénonciation toute particulière. La culture trash, la “mise à disposition de temps de cerveau disponible”, la sous-culture qui tire vers le bas sans, ô grand jamais, chercher à élever, sont dues à des personnes comme ce FUCK. Symboliquement, ce nom en forme de doigt tendu reprend en réalité les initiales d’un aristocrate français. Admirateur du peintre Rothko, capable de fines analyses sur la haute culture qu’il maîtrise à la perfection, ce nobliau gagne sa vie en volant celle des personnalités sans intérêt, vendant ses clichés à la “presse people”. Ceux qui dirigent ces journaux, ceux qui dirigent TF1, la liste serait longue, sont cultivés, sont passés par les “grandes écoles”, sont partie intégrante d’une élite.

Ce mélange de cynisme, et de renoncement à toute aspiration par ceux qui seraient les mieux armés pour les accomplir, traverse tout le livre. Le roman ne manque donc pas de propos, capable par instant de nouer critique de la société de consommation, trahison des élites (une de plus ou de moins), et bilan désenchanté du monde soviétique qui s’était posé en contre-modèle à un Occident voué à Mammon. Fort bien. Fort peu, pourtant.

Faute d’avoir choisi, faute probablement d’avoir éprouvé le moindre intérêt à écrire ce livre, Rolin ne donne rien. Pas plus que ces photos vides décrites dans son livre, où des stars en manque de respectabilité organisent d’être “surprises” en train de promener leur chien ou de sortir du pressing.
Bon résumé du livre : de-pressing.