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Depeche Mode #2 : Master and Servant

Par Ulrich, le 21-10-2011
Musique
Cet article fait partie de la série 'Depeche Mode' composée de 7 articles. L'équipe de Playlist Society raconte son histoire Depeche Mode. Voir le sommaire de la série.

“Oh oui, fais-moi mal !”

A 16 ans, la subtilité n’est pas notre fort. A 16 ans, on a un rapport primaire, brutal et maladroit avec le sexe. On n’est pas franchement prêt à appréhender les dessous de la chose avec… doigté. Vraiment pas.

Donc lorsque deux groupes balancent, en l’espace d’un an, deux singles produits pour exercer notre souplesse sur les dancefloors, nous autres ados de 16 ans ne pensons franchement pas que lesdites chansons contiennent des propos offensants pour nos jeunes esprits en devenir. La libération sexuelle a peut-être eu lieu, mais nous en sommes encore, pour la plupart d’entre nous, à glousser ou à fantasmer sur les futures formes très arrondies de nos futures ex-partenaires.

A 16 ans, le bondage, on ne sait pas ce que c’est et les relations sexuelles sado-masochistes encore moins. Un an auparavant, vous jetez un regard innocent sur la pochette du single de Frankie Goes Hollywood et dans votre chambre, vous gueulez comme un abruti “RELAX DON’T DO IT”, la fièvre du rythme prenant possession de votre corps, ne comprenant pas un cent le sens des paroles… Et bien oui quoi “relax, don’t do it, when you want to come it”, ce ne sont  franchement pas les paroles les plus excitantes que vous ayez entendues depuis que vous avez conscience de votre engin entre les jambes. Il y a mieux pour s’envoyer en l’air… Enfin c’est ce que vous pensez à l’époque. Tout juste, si vous percutez le sens de de “Hit me with laser beams”… Enfin si un peu, mais pas de quoi faire un fromage et de voir débouler votre père dans votre chambre vous gueulant d’arrêter de chanter ces insanités et envoyant ad patres le disque par la fenêtre. Votre rapport avec la face cachée et sombre du sexe commence, comme à l’accoutumée, par le déni et la censure.

Aussi, lorsqu’un an après, Depeche Mode balance à son tour sur les ondes son Master and Servant, je n’étais guère plus évolué… sexuellement parlant. Certes, grâce au frère aîné, j’étais moins maladroit avec les filles, mais franchement, à l’époque, j’avais plus envie de faire chier mes parents et de repeindre le monde en noir et rouge que de m’attarder une seule seconde sur les délires sexuels de quelques excités du gland. Donc lorsque Master and Servant déboula sur ma chaîne hifi, je ne fis pas plus attention aux paroles pourtant beaucoup plus explicites et encore moins aux bruits de coup de fouet et de chaîne. Non, je redevins un primate pris par le démon de la danse, le casque du walkman solidement planté au sommet du crâne : ma longue histoire avec le groupe de Basildon ne faisait que commencer.

Il fut ma porte d’entrée à un genre musical que je ne connaissais pas alors, la musique industrielle. Et je sais qu’à l’époque, avec les copains qui partageait le même goût que moi pour une autre musique, Master and Servant fut une bouffée d’air pur. Tout mainstream qu’est devenu ce morceau, il n’en garde pas moins une aura sulfureuse et je compris bien plus tard que Depeche Mode avait rendu le plus bel hommage qui soit à l’écrivain le plus censuré et le plus honni de son temps : le Marquis de Sade. Eux seuls avaient réussi sur un seul et simple morceau à capter l’essence industrielle de l’oeuvre du Marquis. Je ne découvris cet aspect du morceau que quelques mois après sa première écoute, lorsque mon grand-père, très amusé, me demanda si j’avais bien compris le sens des paroles. Craignant encore un vol plané de disque, je fis le fanfaron et lui répondit avec un sens de la répartie digne du doigt mouillé : “oui, c’est sexuel”. Il rit et me mit entre les mains Justine. Aujourd’hui, le Marquis de Sade est devenu un corps soluble de l’industrie culturelle, mais en 1984 ses oeuvres se lisaient encore sous le manteau. A 16 ans lorsque vous découvrez Justine, vous ne doutez guère des ravages que ce livre provoquera en vous. L’oeuvre destructrice de Sade s’infiltre sournoisement et le jeune con anarchiste que vous êtes alors, ne comprend que trop bien que vous avez entre les mains une bombe à retardement.

L’anti-génie du Marquis devint une béquille et son miroir pop bien déformant Master and Servant, une entrée vers la musique industrielle et son univers ouvertement fétichiste et sado-maso, une musique qui ne se cachait pas derrière de faux-semblants. Si l’Enfer se couche désormais sur papier bible, la musique industrielle et ses apôtres ne se sont guère compromis. Et même si Depeche Mode n’est pas le groupe emblématique de ce genre musical, il l’a démocratisé et fut son passeur de plats le plus habile.

Vingt-sept ans après, Master and Servant est un des tubes incontestables de Depeche Mode qu’on aime à écouter, sans discernement. On oublie qu’en 1984 ce morceau fut interdit sur la plupart des ondes américaines et échappa de peu à la censure de la BBC par un étrange concours de circonstances. Vingt-sept ans après, les gamins de 16 ans trouveraient certainement les paroles niaises, ne provoquant qu’un sourire de connivence ou de moquerie. Moi à cet âge, il m’ouvrit en partie l’esprit.

***

L’intégralité de la série Depeche Mode :

https://www.youtube.com/watch?v=yxaIGvI6Y8Q&ob=av2e