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Il fut un temps où Skinny Puppy était une montagne sèche comme un volcan après une éruption. Leur son était râpeux, acide et âpre, la voix de Nivek Ogre, derrière des effets étranges, devenaient une incantation captivante et terrifiante, qui émanait des micro fissures du magma, du plus profond de la terre, de l’endroit où l’on fricoterait avec le diable. Dans la galaxie indus des Ministry, des Einsturzende Neübauten et des Nine Inch Nails à venir, Skinny Puppy avait une force tellurique qui se développait l’air de rien, dans le minimalisme de sa musique. C’était violent et martial, et surtout hanté.

“Tout fout le camps”. La violence s’efface petit à petit. Avec l’âge ? Avec d’autres envies ? Je n’ai aucune réponse. Impossible d’expliquer pourquoi Trent Reznor a pris le chemin de With Teeth, véritable détartrage de sa musique autrefois pleine de sueur, de cuir et de sons aussi artificiels que charnels. Nine Inch Nails s’est petit à petit lissé et fané, au profit de nappes communes, d’un son labellisé Reznor, avec les trois notes habituelles et toujours la même approche de la musique, la rage en moins.

Ministry a tué sa musique avec son engagement. Al Jourgensen a privilégié son discours anti-Bush, remixé Carmina Burana pour la cause, et s’est perdu dans des délires potaches, bien loin des tourbillons malsains de Psalm 69 et du terrifiant The Dark Side of the Spoon. Les ambiances ont disparu et Ministry a rangé ses infra-basses au placard, pour sortir une sorte de metal commun et sans saveur.

C’est une chose un peu effrayante à dire, mais l’indus est peut-être mort. Il était peut-être déterminé à vivre dans les années 80, avant de disparaître doucement dans les limbes du trop produit et trop travaillé. L’indus a perdu son instantanéité, il puisait sa force dans cet amour du bruit et du parasite. Maintenant, comme si les ordinateurs et les belles technologies et machines l’en empêchait, la musique industrielle ne peut plus se permettre de froisser les tympans de l’auditeur. La violence se dilue alors dans des sons électroniques déjà explorées par la techno, le dubstep ou l’EBM. Restent les voix, qui, malgré toute l’envie du monde, paraissent bien fades sur ces couches de bruits sans haine qui les anime.

On écoute alors le Handover de Skinny Puppy en espérant retrouver cette décadente violence, ce goût pour le malsain. Et on trouve quelque chose de troublant, d’entre-deux eaux. Peut-être parce que l’indus est inscrit dans les 80s, et sonne vraiment daté aujourd’hui. Simplement parce qu’il n’y a plus les mêmes intentions derrière, mais que la musique est restée sensiblement la même. Les rythmes martiaux demeurent, la façon de scander des refrains aussi, mais il n’y plus cette foi inaltérable, le véritable moteur à la fascination. Quelques notes font se dresser les oreilles dans ce Handover, parfois. Mais finalement, ce ne sont que des réminiscences d’un temps où Skinny Puppy était rugueux comme une feuille de papier de verre. Paradoxe ultime : c’est avec la rugosité d’un papier de verre qu’on lisse une surface. Et à force de poncer, on en devient lisse. La voilà, l’explication.

Skinny Puppy sort son Handover, attendu depuis 2009, chez SPV. Une triste histoire du temps qui passe.